Les ''h'nèches'' de chez nous…

Jacques TORRES - Le 17/02/05.

 

Un article signé Luc TRICOU paru dans le N° de décembre 2004 de ''l'Algérianiste'' et intitulé '' le Kornouz'' a réveillé en moi des souvenirs de jeunesse.
TRICOU, natif de FROMENTIN et bien plus âgé que moi a passé une partie de sa jeunesse à ORLEANSVILLE et nous avons donc bon nombre de points communs.
Dans cet article, il faisait allusion à un serpent mythique ou réel, le ''qornouz'' qui aurait eu une chevelure…
(J'écris avec un ''q'' car le son ''k'' est, là, plus guttural, presque un ''g''.)
En arabe, le mot h'nèche désigne un serpent.
J'ai entendu dire également lèfâ. Ce terme semble inclure une notion de piqûre : lorsque les fellahs venaient se faire soigner au dispensaire, ils n'acceptaient de prendre les médicaments liquides ou en comprimés que s'ils ne pouvaient pas obtenir une léfâ, une piqûre qui était censée être plus efficace et qu'ils réclamaient avec insistance. J'ai connu des frères jumeaux infirmiers militaires à Montenotte qui, pour tranquilliser les quémandeurs de léfêêtes leur faisaient une injection … d'eau distillée.
Et ça allait aussitôt bien mieux, ouallah !
Comme quoi l'effet placebo n'est pas un vain mot.
Léfâ pourrait alors signifier vipère bien que je n'en aie jamais vue et que je n'aie pas entendu dire qu'il en existait dans ma région.
Cependant, lorsque nous allions sur les berges du Chéliff, plantées d'eucalyptus par les premiers colons, mon camarade Roger Sanchez et moi avons aperçu, à deux reprises et au même endroit un serpent de couleur rouille-rouge d'une cinquantaine de centimètres de long qui s'enfuyait à une vitesse étonnante.
Ce pouvait être une vipère.

Une fois, nous étions à la chasse aux moineaux avec nos carabines à air comprimé dans cette même forêt d'eucalyptus des berges du Chéliff. Nous avions garé nos mobylettes contre un arbre auquel j'étais occupé à attacher les roues avant avec mon antivol tandis que Roger faisait de même avec le sien sur les roues arrière. Un sifflement de sa part me fait tourner la tête. Il me fait un signe de sa main serpentant : serpent. Ensuite , il me montre son oeil avec son index : regarde ! et pointe celui-ci vers une grosse crevasse qui zèbre le sol. Il est à plus de deux mètres de moi. Il pointe sa carabine et tire. Je vois alors se soulever les feuilles mortes d'eucalyptus sous mes pieds !
La bête devait mesurer plus deux mètres. Nous n'avons pas pu la retrouver en fouillant la crevasse avec de longues branches.

Le N° 39 de la Rue Clémenceau où j'habitais n'était qu'à quelques mètres, en passant pas la Porte des Gazelles, de la ''pépinière'' où commençait une zone de nature sauvage dans laquelle, dès mon plus jeune âge, j'ai passé le plus clair de mon temps libre à fouiner, à grimper aux arbres, à côtoyer la nature sauvage.
Là nous pouvions voir et observer des quantités de bestioles, des gerbilles, des lapins de garenne, des tortues grecques ou, au canal, des cistudes, des insectes, scorpions, chenilles ; des oiseaux et des reptiles divers. Ceux-ci ne manquaient pas de provoquer chez nos camarades arabes et chez certains européens une terreur aussi ancestrale qu'injustifiée.
J'ai tenté d'élever certains de ces animaux avec plus ou moins de succès. Les vers à soie étaient également une passion partagée par tous les gamins car pour leur nourriture, nous avions des mûriers plantés dans des trous des trottoirs.
Nous étions encouragés par nos Maîtres d'Ecole à rapporter en classe tout ce qui pouvait donner lieu à des leçons de choses et ils organisaient des sorties dans la nature, au Chélif et au Tsiraoute dont je conserve le souvenir vivace et attendri.
Nous trouvions des seps que nous appelions des ''lisses'' et des orvets dissimulés dans les fentes des remparts qui entouraient la ville. A l'école, les ''chioukhas'' nous expliquaient tout de ces animaux bizarres.
Combien de fois suis-je resté avec la queue gigotante d'un lézard que je voyais déjà dans ma boîte et qui prenait la fuite…diminué mais libre! On en retrouvait avec la queue difforme parce qu'elle avait repoussé, après que l'extrémité avait été séparée du corps, accordant une chance de survie à leur propriétaire saisi par quelque prédateur.
Nous étions passés maîtres dans la capture à la main des couleuvres. Il suffisait de bien repérer la tête de l'animal, après bien sûr s'être assuré qu'il s'agissait bien d'une ''esculape verte'' ou d'une ''à collier'', noire ou grise. Pour ma part, comme le contact des écailles me rebutait, je préférais me servir de mon béret comme d'un gant pour saisir la bestiole.

Les plus amusants de ces reptiles étaient les couleuvres vipérines que nous allions capturer dans les eaux glauques et boueuses du canal d'irrigation creusé dans la terre et datant de l'époque du Colonel de SAINT ARNAUD, vers 1850.
Ces reptiles miniatures de la taille d'un crayon d'écolier donnaient lieu à des farces pendables, comme de les glisser dans le cou des filles ou dans leurs cartables.
Nous jubilions de leurs cris de terreur et des grimaces qu'elles faisaient. Jeu stupide de jeunes enfants.
Un piège que nous réservions aux ''bleus'', aux nouveaux voisins ou arrivants dans le ''quartier'' de la Rue Clémenceau, était de placer une de ces bestioles dans une de nos poches, puis de prétexter d'avoir les mains sales et de demander à l'innocent de prendre notre mouchoir dans la poche pour se moucher ou s'essuyer les mains. Tous les copains ''au parfum'', attendaient de profiter du sursaut et des cris d'horreur de la victime pour s'esclaffer à en pleurer…
Cependant, nous savions qu'il n'y avait pas de reptiles dangereux. Malgré cela, toute créature rampante donnait lieu à une chasse effrénée à coups de pierres ou de tire-boulettes. Le malheureux animal ne devait son salut qu'à la fuite ou bien il était tué puis sa tête était écrasée et piétinée pour s'assurer de sa fin. C'était parmi les plus audacieux de nos camarades arabes de la bande qui s'acharnaient le plus sur la dépouille. Ils avaient en effet une terreur panique à la simple vue d'un reptile, mort ou vivant.

Il m'est arrivé de trouver dans les buissons, accrochées à des épineux des mues de serpents atteignant les deux mètres ! On distinguait nettement les coques transparentes des yeux, les écailles des mâchoires. Les arabes s'en emparaient car ils attribuaient à ces dépouilles des vertus curatives ou magiques.

Lors des incendies de forêt, nous découvrions des serpents grillés dont l'odeur n'était pas sans rappeler le poulet rôti !

J'ai vu une grosse couleuvre gris-vert de deux bons mètres fasciner des moineaux. Elle se redressait sur une trentaine de centimètres et avançait vers un groupe de moineaux occupés à se chamailler bruyamment en picorant sur le sol. Quelques-uns s'envolaient à l'approche du reptile mais il y en avait parfois un qui restait là, les ailes étendues et frémissantes, comme en parade nuptiale ou en provocation de mâles, pépiant en faisant face à la couleuvre. Essayait-il de l'impressionner pour se défendre ? Son instinct ne l'avait-il pas alerté du danger ? Etait-il fasciné comme certains l'avancent ? Toujours est-il que la couleuvre le happait d'un geste vif et s'enfuyait.
En Andalousie, dans un camping, j'ai vu la même couleuvre répéter à trois reprises, à quelques jours de distance et au même endroit, une capture similaire.

L'été, nous allions parfois chasser les grenouilles dans le Tsiraoute lorsque l'eau y était rare.
Au retour, nous dépecions avec entrain les bestioles pour en retirer les cuisses et ma mère nous les faisait frire. Toute la bande, assise en ribambelle sur le bord du trottoir de la rue, assiette sur les genoux, dégustait de grand appétit le produit de sa chasse. Quels heureux temps !
Nous clouions les batraciens à l'aide de nos instruments constitués d'une fourchette attachée à l'extrémité d'un roseau.
C'était un arme redoutablement efficace comme l'éprouva un de nos voisins, Gérard Lévy…
Un jour que nous rassemblions la troupe des chasseurs de grenouilles du quartier pour une expédition, Gérard eut un différend avec son jeune frère Dédé . celui-ci lui avait pris sa foëne et ne voulait pas la restituer à son fabricant de frère. Dédé, d'un geste rageur planta la fourchette dans le pied nu de son frère!
Aussitôt, il prit la fuite mais sa mère, alertée par les cris de porc qu'on égorge de son aîné, se précipita à la poursuite du cadet, le rattrapa, l'atteignit et lui administra une solide fessée à cul nul devant tout le monde !
Au résultat, nous fûmes privés de la présence des deux frères Lévy, l'un pour cause de blessure au pied et l'autre également pour cause de blessure … d'amour-propre … au derrière, mais aussi par punition…

Dans les anfractuosités des berges, nous capturions des grenouilles et des crabes.
Parfois nous découvrions des couleuvres, noires avec le ventre rose, qui soufflaient lorsque nous les titillions avec nos fourchettes. Lorsqu'elles tentaient de s'échapper en nageant, toute la bande, surtout ceux qui n'étaient pas ''armés'', sortait précipitamment de l'eau dans des gerbes d'eau et à grands éclats de rire nerveux …
Les adultes qui nous accompagnaient nous ordonnaient de ne plus ennuyer ces malheureux reptiles.

J'ai vu à Lalla Aouda où, Scouts de France, nous campions souvent près des canalisations souterraines de l'époque romaine, une grosse couleuvre verte qui descendait d'un pin, un oiseau dans la gueule. Yvon Scotto lui trancha la tête d'un coup de ''canadienne''…

Nous trouvions également des quantités de couleuvres au barrage du Moulin Robert.
En période de sécheresse, une grande étendue de vase était retenue sur la berge opposée au moulin. Là se tenaient des dizaines de grenouilles, vautrées dans la vase chaude survolée par des nuées d'insectes qu'elles venaient happer. Mais elles-mêmes attiraient des couleuvres qui se glissaient discrètement dans cette vase propice à l'approche.
Nous, nous y allions en plein soleil pour nous amuser à faire la luge. Couchés sur le dos, nous pédalions et poussions avec les jambes pour avancer. C'était très doux et chaud.
Et bon - paraît-il - pour l'épiderme ! Cela ajouta-t-il à mes atouts de séduction ? Voire…
On perdait parfois le slip dans une glissade mais personne ne nous regardait, alors…
Nous allions ensuite piquer une tête dans l'eau toute proche pour nous rincer et effacer toute trace de vase qui aurait pu éveiller les soupçons du grand-père Mino qui en avait certainement fait autant et à qui on n'apprendrait pas cette musique-là…
Il arrivait que nous dérangions des couleuvres. Si l'une d'elles était repérée, nous allions couper un fin roseau sur la berge, nous encerclions le reptile et le fin du fin était de ''faire de l'escrime'' avec la couleuvre qui, dressée, soufflait et se dandinait…Elles étaient souvent peu mobiles, leur corps déformé et alourdi par leurs abondantes agapes. La plupart du temps, nous nous contentions de les reconduire vers l'eau libre où elles disparaissaient.

Un jour, alors que j'étais à la pêche sur le barrage, j'assistai à un phénomène étrange : un poisson d'une dizaine de centimètres frétillait à la surface même de l'eau, disparaissait puis revenait et recommençait son manège. Je pensai qu'il devait être à l'agonie mais, comme il se rapprochait des cailloux du mur du barrage, il émergea ! Je vis alors une petite couleuvre qui le tenait par le ventre. Elle se glissa entre les pierres avec sa proie et je la perdis de vue.

Avec mon camarde Marc Duplan, nous allions braconner les pigeons qui nichaient dans les hautes berges du Chéliff, en amont du barrage, vers Pontéba. Nous tirions à la 22 pour plus de discrétion car, du fait des ''évènements'', la chasse était fermée. Nous emportions également chacun un pistolet automatique …
Nous avions déterminé deux emplacements de nidification, donc de pose des colombidés, situés à quelques centaines de mètres l'un de l'autre. Nous nous postions chacun à un endroit ce qui avait pour effet de nous renvoyer les voiliers à chaque fois que nous faisions feu. De plus, il y avait un trou d'eau claire et chaude dans du gravier d'un coude du fleuve et nous y piquions une tête de temps à autre pour nous rafraîchir.
Les crues avaient creusé au pied de la falaise de terre et de galets agglomérés des saignées horizontales et parallèles de plusieurs centimètres de profondeur. Les éboulements de terre de la falaise, dus parfois au creusement de leurs terriers par les ''chasseurs d'Afrique'' (rolliers d'Afrique) au chant flûté, ménageaient un espace libre entre le pied de la falaise et les buissons, les roseaux et les arbustes dans lesquels nous prélevions des matériaux pour bâtir un affût appuyé à la paroi.
On trouvait là des plumes, des fientes, des fragments de coquilles d'œufs et des oisillons tombés des nids et souvent desséchés ou à moitié dévorés.
Je venais de tuer un pigeon que j'avais eu du mal à récupérer, enchevêtré qu'il était dans les buissons épineux, acacias et autres ronces. J'étais donc là, torse nu, adossé à la fraîcheur relative de la falaise, le tricot de peau enroulé autour de la tête à la façon d'un chèche, en attendant que Marco tire et me renvoie les volatiles. Une détonation. Un friselis d'ailes. Les voilà ! J'attends qu'ils se posent, bien sûr.
Soudain, un frôlement sur ma gauche attire mon attention. Je tourne lentement mon regard en coin vers le pied de la falaise afin de ne pas signaler par un mouvement rapide ma présence à un éventuel gibier.
Là, à quelques centimètres de mon dos, plus près que la longueur du canon de ma ''Gevarm'', trop près pour que je puisse tirer, une énorme tête de couleuvre, noire, plus grosse que je n'en avais jamais vue, 7 ou 8 cm de diamètre s'avance vers moi ! Je ne peux pas bondir, mon affût est trop étroit. Je me contrôle et je reste immobile, sans respirer. Je sens, plus que je n'entends, le crissement des écailles dans le sable. Cela dure longtemps, longtemps… Je tourne un œil vers l'animal qui n'arrête pas de défiler. La queue apparaît enfin !
Je bondis hors de mon abri. Le voilier de pigeons décolle à grand bruit mais j'y suis indifférent :
au vol, en tir à balle, je n'ai aucune chance.
Je me précipite vers l'endroit où cette énorme couleuvre a disparu, prêt à lui faire payer la terreur qu'elle m'a imposée.
J'entends le bruit de son déplacement dans les feuilles sèches mais je ne la vois pas.
Sans demander mon reste, je prends ma carabine, mon pigeon et je siffle Marco. Il apparaît au loin et me fait signe, en tournant la main ouverte, doigts écartés : quoi ? Puis il me montre le ciel dans lequel tournoie le voilier de pigeons.
Je lui fais signe de venir et je vais vers lui.
" Combien tu as de pigeons ? me demande-t-il. Il m'en montre deux. Pourquoi tu as pas tiré ? Qu'est-ce que tu as, tu es tout vert.
- J'ai vu une putain de couleuvre, comme ça ! Je fais un rond avec mes pouces et mes index pour figurer le tour de l'animal. Au moins deux mètres et toute noire avec des yeux gros comme des billes en verre, purée !
- Va, va, va, tu as rêvé, y'a pas de couleuvres grosses comme tu dis, et noires. Mon père m'a dit qu'en allant à la chasse au Maroc, il avait vu des cobras noirs, oui, au Maroc mais ici, à part les petites couleuvres noires, y'a rien de noir, oualou. "

J'en étais resté là jusqu'à ce que je voie à la télévision un documentaire sur les fameux Aïssaouas, cette confrérie de Marocains à cheveux longs, sorciers, danseurs, mangeurs de feu et charmeurs de serpents qui animaient les marchés arabes à notre époque.
Le film les montrait lorsqu'ils allaient capturer les reptiles et particulièrement des cobras noirs, extrêmement dangereux, pour en libérer les habitants et ensuite s'en servir comme animaux de spectacle.
Il n'y aurait donc rien d'impossible, puisqu'il en existe au Maroc, que des cobras noirs vivent en Algérie.

J'en viens alors à ce fameux ''qornouz'' et à sa ''chevelure'' qui ne serait que la coiffe d'un cobra excité et dressé ou bien un reste de mue de celle-ci ?

J'en appelle aux herpétologistes distingués pour approfondir la question.


Pour finir et rester dans la même veine, je ne résiste pas au plaisir de vous raconter deux farces picaresques d'un de mes camarades aujourd'hui disparu que tous les orléansvillois reconnaîtront : Bobby.
Nous étions au Collège, anciennement EPS (Ecole Professionnelle Supérieure) d'Orléansville en classe de 6 ème ou de 5 ème, avant le séisme de 1954 qui le détruisit en tuant Paul, ''Smoky'', fils adoptif des Adragna et compagnon de scoutisme.
Les cours de sciences étaient donnés dans un amphithéâtre. Le professeur disposait, au niveau du sol, d'un tableau mural, d'une longue paillasse avec des becs de gaz, un évier, un robinet, etc. Les élèves se plaçaient à volonté sur les degrés, leurs pupitres en continu étaient constitués à chaque palier d'une simple et étroite tablette revêtue de carrelages de faïence, supportée environ tous les mètres par de fins piliers en tubes métalliques. La pièce contiguë abritait le laboratoire où nous allions faire des expériences de physique-chimie ainsi que des travaux de biologie, dissections de grenouilles, etc. Il y avait là des vitrines d'animaux empaillés, des rayonnages complets de bocaux renfermant des animaux conservés dans de l'eau formolée et divers ustensiles en verre, tubes à essais, cornues, etc.
La prof de sciences se trouva à court de matériel de travail et demanda si les garçons pouvaient lui fournir des grenouilles. Nous fûmes trois ou quatre qui répondîmes avec enthousiasme, tout heureux de mettre en valeur nos qualités de ''chasseurs''.
A la sortie du cours, Bobby nous dit :
" Les gars, ne vous tracassez pas, j'ai plein de grenouilles à la propriété, je me charge de faire ce qu'il faut ".
Bien que déçus, nous nous rendîmes à ses arguments.
La semaine suivante, à l'entrée dans l'amphithéâtre, Bobby attend la prof. Il tient un couffin sur lequel un torchon a été cousu. Il montre le couffin à la prof. Celle-ci le remercie et lui demande de garder le couffin pour, à la fin du cours, aller placer les grenouilles dans un vivarium ou un récipient adapté du laboratoire voisin. Bobby monte s'asseoir au plus haut de l'amphithéâtre, contrairement à l'habitude des garçons qui, toujours à l'affût d'un 'jeton'' sous les jupes des filles, se précipitaient avant celles-ci pour prendre les places les plus basses…
Le cours se déroule. Bobby a un air réjoui. Derrière sa mèche en bataille, son visage est barré d'un sourire en coin que je connais bien… Son œil pétille…
Pourtant rien ne se passe…
Dans un silence de la prof, j'entends un ''floc'' sur le carrelage d'une des marches de l'amphithéâtre puis cela se multiplie.
C'est alors toute une armée de grenouilles qui dévale les marches en tous sens. Cris d'horreur des filles qui se lèvent en hurlant et qui, affolées, se perchent sur les pupitres. Que de 'jetons'' !
Rires hurlants des garçons qui jubilent. Cris de la prof qui ordonne que l'on capture ces bestioles. On en profite ben entendu pour les relâcher au bon endroit, pour simuler des glissades et des chutes…
Un tel vacarme ne pouvait manquer d'attirer l'attention de ''Djelloul'', notre surveillant général, M Liouche. Il s'encadre dans la porte et s'enquiert de ce qui se passe.
Le responsable est conduit, par l'oreille, s'il vous plaît, jusque dans le couloir. On entend sonner une claque. Au changement de salle, nous apercevons Bobby, l'air contrit, mais l'air seulement car un clin d'œil par dessous sa mèche rebelle nous renseigne.
Il attend ses parents qui ont été appelés au téléphone et priés de venir se charger de leur rejeton.
Nul doute que ce soir, ça va barder à la pharmacie !'

L'année suivante, une nouvelle prof de sciences est chargée de notre classe. Elle est vraiment toute jeune et délicieusement agréable. ''Comestible'' comme disaient les plus âgés…
Le thème du prochain cours porte sur les reptiles et la demoiselle demande qui pourrait se procurer une couleuvre - morte - précise-t-elle bien. Aussitôt, Bobby se lève : " Moi, Mademoiselle, les ouvriers à la propriété à Pontéba, ils en tuent tous les jours dans la roseraie de ma mère, près de l'Orange. (Une buvette en forme d'orange avait été installée au milieu des orangeraies et devinez ce qu'on venait y déguster ?)
- Et pour quelles raisons y en a-t-il autant ? demande la prof.
- Parce que c'est arrosé alors, elles viennent pour boire, invente Bobby.
- Je pense que c'est plutôt parce que c'est humide et que des grenouilles y viennent.
Le mot ''grenouilles'' déclenche une vague de rires que la prof ne s'explique bien entendu pas…
- Bon, vous pouvez compter sur moi, je vous apporterai une couleuvre la semaine prochaine, Mademoiselle. "
Le jour venu, Bobby dépose sur la paillasse magistrale une de ces boîtes à biscuits carrée en fer blanc, rouillée et fermée en croix par une ficelle.
Il s'éloigne en baissant la tête, ce qui, chez lui, est le signe qu'il se retient pour ne pas éclater de rire. La prof fait son cours, montrant avec sa baguette sur une planche illustrée murale les différentes parties d'un écorché de reptile.
Clang ! le couvercle de la boîte à biscuits est tombé sur le sol. Une grosse couleuvre verte rampe sur la paillasse ! La prof se jette dans le couloir tandis que les filles se précipitent au haut de l'amphithéâtre en hurlant. Que de jetons !
La bestiole tombe de la paillasse et sort dans le couloir. Nous sommes trois ou quatre à passer la tête par la porte pour voir où elle va : elle pénètre dans le laboratoire contigu.
Monsieur Ferrandès, le concierge, un brave pépère placide, alerté en lieu et place de Djelloul, absent, intervient. On lui indique la retraite de la couleuvre. Il regarde prudemment depuis la porte du laboratoire puis retourne à sa loge se munir de quelques balais destinés à servir d'armes contre le monstre…
Des volontaires ? Ca ne manque pas : l'occasion de sécher un cours est trop belle et une partie de rigolade n'est pas à dédaigner. Bobby en est, bien entendu :
" C'est normal, Bobby, vous devez rattraper votre bêtise " le sermonne la prof…
La couleuvre se faufile sous les paillasses des élèves, s'entrelace dans les tuyaux d'évacuation, les conduites de gaz, etc. Impossible de l'atteindre. On la pourchasse. Elle accélère ses mouvements, grimpe sur un rayonnage et glisse entre les bocaux. Un bocal bascule et tombe sur le sol où il éclate. Pan ! d'un coup de balai maladroit (?), avec un éclat de rire, Bobby abat deux ou trois bocaux qui se fracassent sur le carrelage en dégageant une forte odeur qui nous prend aux narines.
Jugeant que l'air est irrespirable, M Ferrandés ouvre les baies vitrées et nous dit de sortir.
De la porte, nous suivons la suite des évènements. La couleuvre, comme si elle avait pu en prendre conscience, se faufile jusqu'à une fenêtre, se glisse sur le cadre et se laisse tomber à l'extérieur !
Nous nous élançons dans le couloir, balais brandis, pour aller dans la cour où l'animal est tombé quand Djelloul apparaît au bout du couloir ! Notre élan est coupé net et le groupe se met au pas en silence.
" Que se passe-t-il ?
Bobby prend les devants :
" Une couleuvre s'est échappée dans le labo et puis elle est partie dans la cour. On la chasse, M'sieu.
- Bon, c'est très bien comme ça, elle a repris sa liberté, laissez-la tranquille. Rendez les balais à M Ferrandès et rejoignez-moi en amphi.
- Bien M'sieu ! "
En amphi, Bobby est sommé de s'expliquer.
" Pourtant quand les ouvriers me l'ont donnée, la couleuvre ne bougeait pas du tout, je vous assure. Peut-être qu'elle n'était qu'assommée et qu'elle s'est réveillée ? avance-t-il.
- Peut-être aussi qu'elle a dénoué toute seule la ficelle de sa boîte ou peut-être qu'elle a fait comme les grenouilles de l'an dernier ? Hein ? "
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Il se souvient …
On entendrait une mouche voler … C'est pas le moment de broncher…
" Bon, tous les garçons sont consignés jeudi prochain toute la journée. Je vous donnerai de quoi vous occuper, n'est-ce pas ? (M Liouche était, à l'origine, professeur de mathématiques. Il ne dédaignait pas, à l'occasion, d'effectuer le remplacement des professeurs absents…) Toi, Gadel, suis-moi dans mon bureau. "
Re-conduite par l'oreille, re-claque sonore dans le couloir…
Cette fois, notre Bobby a été mis à pied une semaine avec une bonne provision d' ''avertos''. (des avertissements qui conduisaient à l'exclusion du collège…)

Notre Bobby a déjà rejoint le paradis des farceurs impénitents et des ''picaros''…
Il nous laisse des souvenirs impérissables.
Paix à ses cendres et honneur à sa mémoire.