Mon
accent
Miguel
Zamacoïs
1866-1955
De l'accent
! De l'accent ! Mais après tout en ai-je?
Pourquoi
cette faveur, pourquoi ce privilège ?
Et si je
vous disais à mon tour, gens du Nord,
Que c'est
vous qui pour nous semblez l'avoir très fort.
Que nous
disons de vous de Bône jusqu'à Nemours,
Ces gens
là n'ont pas le parler qui nous entoure
Et que tout
dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir
d'accent, pour nous, c'est en avoir.
Eh bien non !
Je blasphème et je suis las de feindre
Ceux qui
n'ont pas d'accent, je ne puis que les plaindre.
Emporter
de chez soi les accents familiers,
C'est emporter
un peu sa terre à ses souliers.
Emporter
son accent d'Auvergne ou du Chéliff,
C'est emporter
un peu sa plaine ou son massif !
Lorsque loin
du pays, le cœur gros, on s'enfuit
L'accent
? Mais c'est un peu le Pays qui vous suit.
C'est un
peu, cet accent, invisible bagage
Le parler
de chez soi qu'on emporte en voyage !
C'est, pour
les malheureux à l’exil obligés,
Le patois
qui déteint sur les mots étrangers.
Qu'il soit
d'Orléansville, Charon ou Montenotte
Ce parler
si chantant n'a pas de fausses notes.
Avoir l'accent,
enfin, c'est, chaque fois qu'on cause,
Parler de
son pays en parlant d'autre chose !
Non, je ne
rougis pas de mon fidèle accent !
Je veux qu'il
soit sonore, et clair, retentissant !
Et m'en aller
tout droit, l'humeur toujours pareille,
En portant
mon accent fièrement sur l'oreille.
Mon accent
! Il faudrait l'écouter à genoux !
Il nous fait
emporter la Province avec nous,
Et fait chanter
sa voix dans tous mes bavardages,
Comme chante
la mer au fond des coquillages.
Écoutez !
En parlant je plante le décor
De notre
chaud pays dans les brumes du Nord !
Mon accent
porte en soi d'adorables mélanges
D'effluves
d'orangers et de parfums d'oranges.
Il évoque
à la fois les feuillages bleu-gris
De nos chers
oliviers aux vieux troncs rabougris.
Et les villages
où treilles et pergolas
Éclaboussent
de bleu la blancheur des villas !
Cet accent
là, vent d'Est, cigale et siroco
A toutes
mes chansons donne le même écho.
Et quand
vous l'entendez chanter non sans finesse
Tous les
mots que je dis arrivent de Ténès !