Docteur Léon KAMOUN (1911-2002)

In memoriam ...

La seconde guerre mondiale.
La France, écrasée sous la botte nazie, est occupée.
Le gouvernement de Vichy, à genoux, se plie aux exigences du vainqueur.
La dure loi du IIIe Reich s'impose non seulement en métropole mais dans tout l'Empire colonial français ainsi que dans les trois départements français d'Algérie.

A ORLEANSVILLE, le maire, le Docteur GRAL, passe pour un vichyste convaincu et il applique strictement les directives du gouvernement français asservi.
L'une de ces directives interdit aux Juifs l'exercice de certaines professions, sous peine de lourdes sanctions. Le Docteur Léon KAMOUN se voit donc interdire l'exercice de la médecine.
Il a cependant acquis une solide réputation dans sa pratique.
On lui reprocherait parfois d'avoir une forte personnalité et du caractère - certains diront qu'il a mauvais caractère - cependant, nul ne nie qu'il possède son art d'une manière exceptionnelle : ses diagnostics sont précis et parfaitement posés et tous ses confrères - c'est la pratique d'alors - sollicitent son avis lors de cas médicaux douteux ou délicats.
D'ailleurs, il est très difficile d'obtenir une consultation du Docteur KAMOUN, tant chaque jour la file d'attente est longue à son cabinet. Les malades arabes, fatalistes, s'accroupissent dans leurs beurnouss en interminables litanies, à même le trottoir carrelé de l'Avenue CARNOT. Monsieur HIDALGO, l'assistant-infirmier, blouse immaculée et grosses lunettes, est souvent obligé d'abandonner la chaise de bois sur laquelle il se juche à califourchon, calé contre le mur, pour se muer en agent des forces de l'ordre... aidé de KADER, son collègue.
Et leur praticien de patron a beau multiplier ses heures de présence, entre ses visites à domicile et ses interventions à l'hôpital d'ORLEANSVILLE, où il pratique certaines opérations chirurgicales, il s'éreinte à faire face : on le réclame partout comme un recours irremplaçable.
On le réclamait devrais-je dire car, en ces temps troublés, il ne peut plus exercer, sous peine de graves sanctions.

Dans une modeste famille orléansvilloise, les FERNANDEZ, Viviane, la cadette des deux filles est très souffrante depuis plusieurs jours et le Docteur GRAL, médecin de la famille, en dépit de nombreuses visites et de sa bonne volonté, ne parvient pas à poser un diagnostic précis et ses traitements sont inopérants.
Le Docteur GRAL est désemparé et impuissant devant ce mal irréductible.
La fièvre ronge l'enfant qui s'affaiblit dangereusement sans que la maladie soit identifiée.
Les parents, tout d'abord inquiets, s'affolent ensuite devant le spectacle de leur fille qui décline.
On en arrive même à lui administrer les derniers sacrements.

La mère sollicite alors une entrevue du maire qui la reçoit. Désespérant de voir son enfant se rétablir, elle lui demande d'autoriser le Docteur KAMOUN à venir examiner celle-ci.
Pour elle et sa famille, comme pour de nombreux orléansvillois, le Docteur KAMOUN représente l'ultime recours. Il faut sauver Viviane qu'on pense condamnée.
Le maire ne veut pas transgresser les lois françaises mais, sans doute touché par le désespoir et les arguments de Madame FERNANDEZ, tout en reconnaissant son impuissance à guérir Viviane, il promet de fermer les yeux et de suivre à la lettre les prescriptions de son confrère.
Toutefois, constant dans ses convictions et dans son rôle, il précise qu'il ne pourra rien faire pour défendre le Docteur KAMOUN si celui-ci était surpris à passer outre les lois de VICHY.
Le contrevenant s'expose à être arrêté et incarcéré en camp d'internement...
Le Docteur KAMOUN, mis au courant de la gravité du cas de Viviane, n'hésite pas.
Pourtant les risques sont sérieux car une simple dénonciation suffirait à l'envoyer pour longtemps derrière les fils de fer barbelés... Mais son serment d'HIPPOCRATE guide Léon KAMOUN.
Il se présente de nuit et en catimini chez les FERNANDEZ. Il examine longuement Viviane, sous le regard anxieux des parents éplorés. Quelques instants plus tard, sa conviction est établie.
Il prescrit alors une ordonnance que le père s'empresse d'aller chercher, malgré l'heure tardive, à la pharmacie RICHARD où il sait que l'apothicaire barbu est d'un grand dévouement.
Le traitement sera suivi pendant plusieurs jours et, au fur et à mesure, Viviane reprendra des couleurs et du poids. En quelques semaines, elle retrouve son dynamisme et sa joie de vivre, au grand soulagement de ses parents et à la satisfaction des Docteurs KAMOUN et GRAL.

Docteur Léon KAMOUN : un homme de bien qui, au mépris du réel danger qui le menaçait, a permis par son intervention téméraire la guérison de Viviane.
Je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'est pas fortuit que la renommée du Docteur Léon KAMOUN ait été si grande dans notre région : c'est sans nul doute parce qu'il y a eu bien d'autres Viviane dans sa longue carrière qui vient de s'achever.






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