Commune de Montenotte

Avec l'apport de Yvette KANDEL-CERVERA, Claude SUIRE et de Brahim GOUSSANEM

 

Histoire

Créé en 1848.

Victoire de BONAPARTE sur les Autrichiens, le 12/04/1796. Village italien de LIGURIE, sur la BORMIDA, près de SAVONE, province de GENES.


Nom arabe : AÏN DEFLA (la source des lauriers-roses) puis SIDI AKKACHA (Marabout)

 

Photos

Vues générales

Plans successifs de la ville

1 avril 1849
30 octobre 1849
17 novembre 1852
2 février 1883
26 janvier 1889
27 novembre 1894

 

Bâtiments

Mairie


Ecole

Eglise

Gare

Poste

 

Ecoles


1930

1932

1948

 

Rues, places et monuments

Rues

 

Vie quotidienne


 

Présence militaire

 

 

Récits

MONTENOTTE
AÏN DEFLA (la source des lauriers roses)

(Transcrit par Claude Suire aux Archives d’Outre-Mer à AIX EN PROVENCE)

La colonie agricole de Montenotte a été fondée le 19 septembre 1848. Le nom du village vient de la victoire de Bonaparte sur les Autrichiens le 12/04/1796, village Italien de Ligurie.
Aujourd’hui le village a été rebaptisé Sidi Akacha ( Marabout ).
Le Centre de colonisation est administrée par le ministère de la guerre. C’est donc l’armée qui gère le hameau qui dépend de la commune de Ténès. Le Capitaine Lapasset est chargé de diriger la section de Montenotte, c’est un homme dynamique, intelligent mais très autoritaire, et les relations avec les colons ont souvent été très tendues.

Située à 7 km de Ténès et 47 km d’Orléansville dans la plaine de l’Oued Allala à 100 mètres d’altitude cette commune de 10 732 hectares est traversée dans toute sa longueur par le chemin de grande communication n° 2. La gare la plus proche est à Orléansville. La ligne de chemin de fer Orléansville-Ténès a été mise en service le 1er avril 1910, elle traversait les gorges de Ténès du côté opposé à la route. Ma grand-mère maternelle Claire Weishaar était garde-barrière à la maisonnette. Mon grand-père maternel Meyer Armand Jules travaillait lui aussi au chemin de fer, il était chargé de contrôler la voie Montenotte-Ténès avant le passage du train. La voie fut détruite en 1927 par l’Oued Ouahrane en furie, elle ne fut jamais réparée. Dans un premier temps un transbordement des voyageurs avait lieu là ou la voie était endommagée, mais cela a vite été abandonné au profit du transport routier.

Le territoire de la commune va jusqu’à l’entrée des gorges de Ténès à 2 km du village. Là un barrage sur l’Oued Allala a été construit. On y trouve aussi un moulin qui s’appelle bien entendu le moulin des gorges, il a été construit en 1849 par Joseph Robert, qui en confia la gestion à son fils aîné Paul.
A l’Est de la plaine se trouvent les mines de cuivre de Boukandak et les mines de fer de Chatillon qui occupent une étendue de185 hectares.15 fermes européennes qui exploitent une étendue de 570 hectares et 7 fermes indigènes d’une étendue de 290 hectares.
Prés de la forêt de Bou-Allan, à l’Est de la route émerge une source abondante, les terrains entourant cette source, environ 300 hectares, appartiennent aux indigènes.

Plus en dehors, à 5 km de Montenotte en remontant le cours de l’Oued Allala c’est à dire dans le Sud Ouest, se trouvent sur le territoire des Heumis des Beni Tamoun 6 fermes européennes d’une étendue totale de 414 hectares.
Dans ce secteur aussi émergent deux sources : l’Aïn el Allech qui débite environ 25 mètres cubes par 24 heures et l’Aïn Boukzoun d’un débit 4 fois plus important et qui pourrait être augmenté en captant quelques petites sources qui se trouvent sur son parcours.

Il va sans dire que les possibilités concernant ces deux secteurs n’ont pas échappé au Préfet d’Orléansville qui mentionne dans son rapport sur le développement de la colonisation dans le bassin de l’Oued Allala établi le 14 octobre 1876 : que si l’on avait recours à l’expropriation des terres dont le prix varie de 70 à 80 francs l’hectare (prix assez élevé à cause de la proximité des fermes européennes qui ont donné beaucoup de valeur aux terrains environnants), il serait possible de créer deux nouveaux centres  : un hameau de 10 à 12 feux au Bou Allan et un hameau de 50 à 60 feux au Beni Tamoun.

Le village de Montenotte est placé dans une position assez favorable sur le rapport des eaux. Il existe à 100 mètres du centre du village, une source qui ne tarit jamais et fournit suffisamment d’eau pour les besoins domestiques des colons et pour les bestiaux. Un lavoir et un abreuvoir provisoires ont été établis près de cette source. En juin 1849, un canal d’irrigation de 700 mètres de long a été creusé par les colons, ces travaux ont permis d’entretenir dans un état d’humidité convenable malgré les chaleurs exceptionnelles, le jardin d’essai et la pépinière qui sont maintenant dans un état prospère.

Dans un même temps on s’occupe de réunir dans une même canalisation en poterie, qui les amènera dans l’intérieur du village, les eaux de 5 sources qui surgissent auprès du camp d’Aïn Régada : elles alimenteront une fontaine, un lavoir et un abreuvoir situés prés de la porte d’Orléansville

Dans les premières années les concessions distribuées aux colons ne dépassaient pas 7 hectares. De ce fait, les habitants ne restaient pas au hameau : ils n’avaient même pas de quoi faire vivre leurs familles Les habitations restées inoccupées se délabrèrent rapidement. Le service de la colonisation dut accepter les demandes des colons qui préconisaient l’attribution d’un supplément de terrain afin de développer la culture de la vigne, seule solution pour relancer la prospérité du village et éviter sa désertification. Les colons adressent une pétition au Gouverneur général le 16 novembre 1822 pour l’agrandissement du village et demandent qu’on déclasse la réserve communale forestière. Le Gouverneur Général promet d’étudier cette question dont la solution relève du ministère de l’agriculture. En attendant que cette solution soit intervenue, il demandera que le droit de pacage soit provisoirement accordé aux colons.

En 1926, lors du recensement on dénombrait 3 938 habitants dont 203 Européens.

La construction du village.
La loi du 28 septembre 1848 qui avait créé quarante-deux colonies agricoles en Algérie pour se débarrasser des ouvriers parisiens au chômage, hostiles au gouvernement, était assortie de promesses : une maison en maçonnerie de deux pièces, un lot de jardin, un lot rural de cinq à dix hectares, des semences, des outils et du cheptel gratuits, des rations alimentaires fournies par l’armée.
La hâte du pouvoir ne permit pas à l’Algérie d’aménager tous les sites, et le village de Montenotte n’était qu’une ébauche quand, le premier décembre 1848, le neuvième convoi d’ouvriers parisien primitivement destiné à l’est algérien qui débarqua à Ténès, faute de structures d’accueil fut détourné vers Montenotte et sa région.
Une cargaison de planches et de madriers avait été débarquée en novembre sur la plage de Ténès et permit aux soldats du génie d’implanter de longues baraques.
Le capitaine Lapasset accueillit ses nouveaux arrivés et voulut les associer à la gestion de la colonie en créant un conseil de famille et un conseil d’agriculture composé d’un directeur et de quatre colons. Les lots n’avaient pas été délimités, l’exploitation serait donc collective sous l’autorité de l’armée. Cette tâche en commun pouvait plaire à ces ouvriers socialistes, mais ils étaient des citadins et non des paysans et les débuts furent difficiles.

En octobre 1849, l’école avait été ouverte. Le conseil de famille en établit le règlement : pas de classe pendant les heures chaudes, pas de classe le matin pendant les moissons et les semailles, le jeudi instruction agricole.

Le paludisme ne sévit pas à Montenotte, mais en 1849 et 1850, la dysenterie et le choléra firent des ravages.

Le village est fortifié par un mur de 250 mètres de long et un fossé d‘enceinte avec 4 bastions.

Le coût des travaux a été évalué à 25 000 francs. Mille arbres ont été plantés le long des boulevards, principalement des eucalyptus. Bien plus tard dans la rue principale ceux-ci seront arrachés pour élargir la rue et seront remplacés par des mimosas.
En février 1851 dès que les labours sont terminés et que les jardins sont plantés, le Directeur du centre agricole organise des brigades de colons pour effectuer le nivellement et l’empierrement des rues, la confection des talus et l’assèchement des parties marécageuses de la commune.

En 1852, les colons sont employés par le Génie pour la construction des routes, mais l’éloignement des chantiers rebute les colons qui préfèrent rester pour travailler leurs propriétés ou leurs jardins.
Condamnés à l’inaction, ils allèrent au café, reprirent les habitudes des clubs parisiens et passèrent leurs nuits en discussions politiques . Lapasset ordonna la fermeture des cafés après vingt-deux heures.
D’autres colons passaient leurs journées à la chasse pour se nourrir du gibier qui abondait. Lapasset interdit la chasse.

Le 5 avril 1852, un rapport du directeur de la colonie adressé par la subdivision d’Orléansville est transmis à la division d’Alger. Il informe sur les travaux qui sont exécutés à cette date à Montenotte par les colons. Il indique : tous les colons qui sont animés d’un bon espoir trouvent à gagner ce qui est nécessaire à leur existence. Les lendemains de jours de solde sont ordinairement perdus, et l’amour de la boisson tient encore trop de place dans l’esprit d’une grande partie des colons pour qu’on puisse compter sur une réalisation d’économie. Néanmoins certains colons commencent à comprendre qu’il faut se mettre sérieusement au travail, et il y a en général plus de zèle que l’on pouvait en attendre. Si l’on obtient pas d’économies, on vivra au moins jusqu’à la moisson.

Sur la place du marché, une maison était en construction, elle devait servir de bureau pour le Caïd, de prison et de café Maure. Bien que les travaux soient bien avancés, en fait, il ne manquait plus que les portes et fenêtres, la construction est stoppée faute de crédits. L’administration demande que toutes les dispositions soient prises pour éviter la dégradation prématurée de ce bâtiment.

Le 8 juin 1849, le Gouverneur Général écrit au Général commandant la division d’Alger au sujet de Montenotte dans un rapport concernant les colonies agricoles :
« Je vous prie mon cher Général de demander à Monsieur le Capitaine Lapasset, dont je remarque toujours le zèle et l’intelligence, une note sur la manière dont il a installé son jardin d’essai. Cette note devra faire connaître l’étendue de l’établissement, sa division, en pépinière, jardin potager, les dépenses premières qu’a coûté l’installation, et celles que nécessitent l’entretien et les travaux journaliers, quelles sont les personnes plus spécialement attachées à cet établissement, sur quels fonds se prélèvent leurs salaires et la quantité de ces derniers.
Je vous prie également de faire compliment à Monsieur Bérard sur le zèle qu’il apporte dans sa mission de moniteur d’agriculture et sur les résultats qu’il a fait obtenir à la colonie de Montenotte.
J’ai du reste, appelé l’attention particulière de Monsieur le Ministre de la guerre sur la situation prospère de ce village. Je ne doute pas qu’il ne ratifie complètement le témoignage de satisfaction que je me plais à donner à Monsieur le Capitaine Lapasset et à Monsieur Bérard et que je vous charge de leur transmettre. »

Le 24 août 1850, le Capitaine Lapasset réclame à l’administration une charrue et une paire de bœufs pour chacun de ses colons. Monsieur le Préfet lui répond que chaque colon a droit à une charrue et la recevra prochainement, quand au deuxième bœuf réclamé, il ne peut être donné suite à cette demande.

Le Capitaine fait remarquer qu’il n’existe à Montenotte que 125 maisons et que par suite de l’installation de divers services publics dans quelques unes de ces maisons, plusieurs colons sont encore logés à deux. Il demande pour parer à cet inconvénient la construction de l’école, du presbytère, de l’église pour laisser libre les maisons prises par les établissements d’utilité publique.

Monsieur le Préfet répond : Monsieur Lapasset ne doit pas ignorer que l’état des crédits ne permet pas de construire de nouvelles maisons, il convient donc de laisser sombrer le chiffre des colons au nombre des maisons qui existent aujourd’hui. Cet officier devra jusque là s’abstenir de proposer de nouvelles admissions.

La mésentente entre Lapasset et les colons s’accentua. Il était trop autoritaire et de nombreux ouvriers parisiens montraient peu d’aptitudes pour le dur métier de défricheur. Beaucoup supportaient mal la discipline militaire, tous souhaitaient la fin de la gestion collective.

Lapasset nomma un garde-champêtre pour sanctionner les nombreux délits et partagea les terres. Il attribua des lots de deux à six hectares. Beaucoup d’ouvriers attirés par la ville préférèrent aller travailler à Ténès, mais ils furent remplacés comme le demandait la commission d’enquête par de vrais cultivateurs.

En 1850 Montenotte avait 323 habitants et 104 colons (44 de 1848 et 60 nouveaux venus). 560 hectares étaient ensemencés : 290 ha de blé et 270 ha en maïs.

En mars 1851 le capitaine Lapasset fut remplacé et nommé chef du bureau arabe d’Orléansville. Il laissait Montenotte en bonne voie, 67 colons sur 104 étaient tirés d’affaire.En 1852 le village avait 377 habitants et les terres défrichées passèrent de 1004 hectares à 1586 hectares.

Le 31 décembre1852, le Lieutenant Ferraud du Vingt-cinquième Léger, Directeur de la circonscription administrative de Montenotte remet à monsieur Gantez, Commissaire civil de Ténès : le village, le territoire, les effets et objets appartenant à la colonie de Montenotte, tant en service chez les colons, qu’en dépôt dans les différents locaux affectés au service public. A ce titre, un inventaire est dressé concernant tout ce qui est remis à l’autorité civile. (armes, munitions, outillage, locaux, registres d’état civil naissances mariages et décès, etc., etc. ).
Le 2 juillet 1853, le maire de Montenotte se plaint au Commissaire civil de Ténès des lenteurs dans la distribution du courrier par le facteur rural de Ténès.

Le 18 octobre 1853, Monsieur Bérard est nommé Maire de Montenotte par arrêté préfectoral en remplacement de Monsieur Cros, démissionnaire. Il est probable que le témoignage de satisfaction du Gouverneur Général en sa faveur a été un facteur déterminant sur le choix de sa promotion.

1855 : la guerre est déclarée entre l’Abbé Govillot et Monsieur Bérard adjoint spécial de la commune de Ténès, Maire de Montenotte. Insultes, menaces, plaintes fusent de toutes parts. Le curé réclame une habitation décente, le Maire demande la réduction de la superficie des terrains alloués à la cure, le curé se plaint à son Evêque, le Maire à son Préfet.

Des courriers sont échangés entre les différents protagonistes. On ne peut pas dire que monsieur le curé fasse preuve de beaucoup de respect dans les propos adressés au Maire. Celui-ci ne manque pas de le lui rappeler et de lui demander qu’en égard à son rang, comme prévu, qu’une place lui soit réservée dans l’église pour les cérémonies officielles.

Bref un vrai scénario pour Pépone et Don Camillo. Coïncidence, dans la nuit du 26 au 27 juin de la même année, un malfaiteur s’est introduit dans l’église a brisé plusieurs vases sacrés et volé un calice et divers autres objets de valeur. Le Maire réunit son conseil municipal qui alloue la somme de 200 francs à l’église Saint Jérôme pour réparer les dégâts et racheter les objets dérobés.
Le 17 mars 1853 Monsieur Fricout est nommé garde-champêtre de la commune. Il sera révoqué de ses fonctions et remplacé par Monsieur Delanillaurein le 3 octobre 1855 suite à une plainte déposé par l’adjoint de Montenotte cette plainte est basée sur des habitudes d’ivrognerie invétérées et une négligence coupable dans le service.

Le 4 novembre 1856, le préfet d’Alger accepte la demande de Monsieur Sarre, instituteur public à Montenotte pour l’ouverture d’une classe du savoir pour les adultes dans le local de l’école communale des garçons.

Le 17 octobre 1874, un décret a distrait la commune de Montenotte de l’arrondissement administratif d’Alger et l’a rattachée à celui de Miliana.

Le 11 septembre 1886, un décret annexe le hameau du Camp des chasseurs à la commune de Montenotte.

Le 5 août 1870, le conseil municipal de la section communale de Montenotte sous la présidence de Monsieur Laquière, Maire de Ténès, décide à l’unanimité qu’il n’y a pas lieu de s’opposer à ce que la section de Montenotte soit érigée en commune séparée.

Le 14 septembre 1870, un arrêté préfectoral (arrêté collectif) érige en communes de plein exercice, 15 sections communales. Montenotte en fait partie et va pouvoir prendre en mains sa propre destinée.

Le 26 février 1871, le conseil municipal de Montenotte délibère sur la modification des limites pour le territoire de Ténès et celui de Montenotte. Les nouvelles limites sont acceptées par le conseil municipal de Ténès.

1890, il faut agrandir le village et des transactions avec les indigènes propriétaires des terrains contigus au territoire du village sont tentées.

Le 23 octobre 1890 par lettre n° 135, le Sous Préfet d’Orléansville informe la préfecture que la famille Ben Mani offrait de céder à l’état pour l’agrandissement du centre de Montenotte les terrains qu’elle possède et demande en échange 132 hectares de terrains domaniaux et une somme en argent.

Le 22 juin 1893, la préfecture d’Alger informe Monsieur le Gouverneur Général que les démarches faites auprès des indigènes pour la cession amiable des terrains contigus au territoire du village de Montenotte, sont demeurées infructueuses. Un indigène offre de céder 90 hectares, dont la moitié impropre à la culture, moyennant 200 francs l’hectare.

Les colons qui s’étaient engagés à rembourser à l’Etat le prix d’acquisition par annuité, trouvent cette offre inacceptable et demandent que l’administration réalise l’agrandissement projeté par voie d’expropriation.

Le Préfet estime qu’il y a lieu d’abandonner le projet, l’administration ayant renoncé à poursuivre l’expropriation forcée pour se procurer les terres nécessaires à la colonisation. Quand aux 132 hectares de terres domaniales, situées dans la commune de Montenotte, il propose de les réserver pour être attribuées en échange aux indigènes à déposséder en vue de la création du village dAïn Timezeratine.

Et le préfet informe le Sous Préfet du refus de la transaction, que l’état ne saurait consacrer une dépense aussi importante 25 000 Francs en moyenne pour acquérir une si faible étendue et qui serait hors de proportion avec le but à atteindre.

Dans ces conditions, si l’échange projeté avec la famille Ben Mani ne peut être réalisé, il y a lieu de renoncer à l’agrandissement du centre de Montenotte quelque intéressant qu’il soit.

Le 22 mai 1894, mon arrière grand-père Suire Martial avait acheté la propriété d’Ancer N’Hace ( la source du cuivre ) d’une superficie de 116 hectares située au Sud de Montenotte sur la route de Flatters.

Le 29 décembre 1901, le conseil municipal sous la présidence de son Maire Suire Martial délibère suite à une lettre de Monsieur le gouverneur Général concernant le projet définitif des travaux d’adduction des eaux de Boukandak à Montenotte.

« Le conseil municipal délibérant à l’unanimité de ses membres présents, confiant en la dépêche de Monsieur le Gouverneur Général accepte toutes les conclusions de l’arrêté du 24 octobre 1901 et adopte le projet définitif des travaux, précise qu’une délibération en ce sens a déjà été prise dans la session de novembre, séance du 18 novembre approuvant le dit arrêté. Et pour trancher définitivement la question, prie en conséquence, Monsieur le Préfet d’accorder à la commune l’autorisation de contracter un emprunt à une caisse faisant un taux d’intérêt le plus bas et de vouloir bien indiquer au Maire la marche à suivre pour réaliser cette opération, dans le plus bref délai possible pour pouvoir entreprendre les travaux de captage au moins avant le printemps. Et en attendant la réalisation de cet emprunt, voir s’il serait possible d’autoriser la commune à se servir des fonds qu’elle a actuellement en caisse. »

Le 22 mai 1905, le maire, Monsieur Birgi, fait voter par le conseil municipal la construction d’un bassin réservoir et d’un bassin avec vasque.

L’ingénieur des Ponts et Chaussées chargé du projet établit un rapport qui précise que Montenotte est desservi en eau potable par une canalisation amenant les eaux des sources de Boukandak. Ces travaux effectués par les Ponts et Chaussés, ont été remis à la commune le 19 janvier 1905. La source débite 2,5 litres/seconde.

Il précise que les travaux envisagés par la commune devaient être pris en considération avec bien entendu quelques petites modifications.

Dans l’esprit, ce projet est très intéressant, il permet de récupérer le surplus d’eau des sources qui se perd dans la nature. En cas d’incendie, cela constituera une réserve supplémentaire d’eau disponible, et le bassin avec vasque prévu sur la place de la mairie permettra d’embellir le village et d’y apporter un peu de fraîcheur, cette place faisant un peu vide, et de rajouter qu’il est tellement rare de voir des colons qui pensent à embellir leur village qu’il ne faut pas hésiter à leur donner satisfaction, malgré l’investissement évalué à 8 000 francs.

En Algérie, la colonisation ouvrière de 1848 connut des échecs. Sur 20 502 parisiens, 3 559 moururent du paludisme et du choléra, et 7 038 demandèrent leur rapatriement, mais grâce au sacrifice de ceux qui restèrent et à l’arrivée de nouveaux colons, les villages prospérèrent.

Montenotte, malgré les déboires des premières années, fut une réussite.

 

 

Baurin...


Une détonation résonne et se répercute sur les murs blanchis à la chaux de la salle de garde… Les nerfs à vif à cause des trop nombreux cafés absorbés durant la nuit, dont une pleine bouilloire fume en permanence au bord du poêle, je saisis en un éclair le PM 38 (1), mon arme de dotation.
Je perçois, dans la pénombre de la lampe Coleman qui a été baissée pour ne pas gêner les dormeurs, une agitation. Des grognements, des mouvements, des bruits métalliques.-
" Qu'est-ce qu'il y a ? " demande Jacques, le chef de groupe de l'U.T. (2) d'une voix calme. Il est vrai qu'on ne risque rien ou presque dans cette pièce sans fenêtre aux murs robustes. Peut-être un obus de mortier sur le toit et encore … il faudrait qu'''ils'' visent sacrément bien, les fellouzes.
Il n'y a aucune ouverture, à part les deux portes en épaisse tôle encadrée de fer cornière et pourvues de deux imposants verrous, un à l'intérieur, pour s'enfermer en sûreté et l'autre à l'extérieur, qui est cadenassé lorsque le poste n'est pas occupé. Ce verrou est même cadenassé en position ouverte lorsqu'un groupe séjourne dans le poste, pour le cas où ''ils'' s'approcheraient et auraient l'idée de nous enfermer pour mettre le feu …
Jacques, notre chef de groupe a, comme toujours, installé son couchage sur le lit Picot le plus proche de l'échelle qui, plantée à la verticale, permet d'accéder au mirador où l'homme de quart accomplit son tour de garde. Là-haut, un réduit de deux mètres sur deux, aux murs en parpaings, doublés jusqu'à hauteur du visage par des sacs à terre. Le toit est le point faible car il est en simples tuiles. A quatre pans, il est surmonté d'un puissant projecteur rotatif que l'on commande avec une poignée et qui permet d'éclairer jusqu'au fond du champ de vigne, à plus de deux cents mètres.
Certains ne veulent pas l'utiliser car il constituerait une cible trop parfaite pour les fells qui , de temps à autre, harcèlent le village. Pour ma part, je l'actionne à priori, à intervalles variables, pendant quelques secondes, afin de surprendre dans son faisceau d'éventuels visiteurs indésirables et aussi pour ne pas leur donner trop de temps pour me repérer et me prendre pour cible.
Dans ce mirador, on a installé un poêle à bois. Le tuyau sort par une des meurtrières dont les quatre murs sont percés.
On y a aussi monté un petit banc de bois mais celui-ci ne sert pas de siège. L'hiver, lorsque malgré la capote de drap, le tour de cou en laine et le calot enfoncé jusqu'aux oreilles, le vent d'Ouest s'enfile dans la meurtrière qui lui fait face, en dépit du poêle bourré jusqu'à la gueule et rouge de surchauffe, on est frigorifié, alors on cale ce banc dans l'ouverture afin de barrer le passage à la bise. De temps à autre, on le retire pour scruter la nuit vers l'Ouest, vers la ferme Eyssautier, et on le replace aussitôt. Brrrr !
A demi dressé sur un coude, le visage tendu vers la trappe du plafond, le chef de groupe reprend :
" Ho ! Père Baurin, qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai tiré " répond une voix qui tombe du mirador.
- Ah ! çà, oui, on n'est pas sourds ! "
Personne n'est inquiet car ce seul coup de feu n'a été suivi d'aucun autre ni d'aucun appel.
De plus, il n'y a eu aucune riposte : ce n'est pas le signe d'un harcèlement ou, pire, d'une attaque toujours possible des fells.
Bébert, qui dort tout habillé, " pour être prêt au plus vite " et qui, en guise de bonnet de nuit se sert de son ''calot'' de drap kaki dont il rabat le revers tout autour et qu'il s'enfile jusqu'au nez pour la nuit lance, en se retournant sur son lit de camp, un jugement clair et net :
" Quel con çui-là ! " Baurin a l'ouïe fine :
- Ho, dis, si j'ai tiré c'est qu'il y avait de quoi ! Attends je descends et je t'explique. "
L'échelle vibre sous le poids du tireur qui descend lentement, le fusil en bandoulière.
Jacques secoue la tête avec une moue et une grimace d'agacement que le tireur ne peut pas voir mais s'abstient de commenter : le père Baurin est un ''ancien'' qui s'est porté volontaire pour compléter l'effectif de notre groupe et il n'a pas bon caractère …
Les U.T. de Montenotte se composent de deux groupes et sont commandés par Edmond DUVAL, sergent-chef de réserve.
Jusqu'à ma nomination comme directeur de l'Ecole Publique de garçons de Montenotte, en Octobre 58, des musulmans participaient aux actions de l'Unité Territoriale du village. Celle-ci dépendait de la compagnie d'U.T. 274 de Ténès, sous les ordres du Commandant Jonet.
Or, un jour qu'un groupe allait - comme chaque fois que l'armée était engagée dans une importante opération militaire - prendre la garde dans le poste situé à la lisière Nord du village, au bord d'un petit ravin qui séparait les habitations des champs de vigne et des buissons du maquis, on s'aperçut que le verrou de la porte donnant sur ce ravin avait été ouvert sans effraction.
Bien qu'un très dense réseau de fils de fer barbelés ait été placé en protection tout autour du poste et particulièrement renforcé sur le berge du ravin, jugée dangereuse, l'incident fut jugé sérieux. On n'attribua pas cet incident à une négligence ou à un oubli. On pensa à une trahison d'un des musulmans qui faisaient partie des U.T et qui aurait laissé ce cadenas ouvert afin de permettre l'infiltration des fells, de nuit, pendant le tour de garde du traître qui les aurait laissés pénétrer dans le poste endormi pour égorger les dormeurs…
Comme il était impossible de trier entre les éléments fiables et les moins dignes de confiance, il fut résolu de rayer des contrôles tous les arabes.
Ainsi fut fait.
Mais le commandement n'avait pas prévu qu'il ne resterait pas, en raison des limites d'âge et des états de santé, suffisamment d'européens pour assurer une indispensable relève des réservistes.
C'est ainsi qu'un jour, le maire, Melchior Lonjon, était venu de la mairie toute proche jusqu'à ma classe qui ouvrait directement sur la rue :
" Bonjour, Torres ! ça va ? Dis, tu as bien fait la PM ?(3)
- Oui, Monsieur le Maire, la PME et la PMS (4), oui, c'est çà.
- Ah ? la PMS aussi ? j'avais lu dans le journal que tu avais été major de PM de la X ième Région militaire, alors … en plus que tu vas à la chasse, tu dois savoir bien tirer et tenir un fusil, non ?
- Oui, je me défends pas mal, c'est vrai, Monsieur le Maire ;
- Ecoute, Torres, y'a pas longtemps que tu es arrivé ici, mais directeur ou pas, tu pourrais être mon fils et toit le monde ici m'appelle Melchior et c'est tout.
- Mmmm ! je ne sais pas si j'oserai..
- Alors dis-moi Monsieur Lonjon, simplement.
- C'est d'accord !
- Bon, ce que tu m'apprends m'intéresse parce que je venais justement te voir … Bon, voilà ce qui se passe. : il y a peut-être eu un traître chez les arabes de l'U.T. alors, à Ténès, les chefs ils ont décidé qu'ils ne prendraient plus la garde.
- Ca me paraît pas idiot, non ?
- Oui mais ils ont pas pensé qu'avec ça, quand les militaires ils sortent en opé, on n'a plus assez d'européens pour la relève de la garde. Ils sont 11 et encore parce que Baurin, bien qu'il soit trop vieux, il est volontaire. Alors çà fait deux groupes pas égaux : un de six avec Edmond, Georgeot Mazars, Roger Gonzalès, Vivès, Mazullo, le cafetier, et je sais plus qui, et l'autre avec Jacques Bergonzoli, le secrétaire de mairie, tu sais bien, et avec un des frères Gonzalès, Jeannot Torregrosa, le boulanger, Coumat, le postier, et le père Baurin. Ils sont cinq et ça fait pas un compte rond, alors … ".
Je vois bien qu'il est un peu gêné, il triture son béret, mâchouille son mégot et son regard bleu ne fixe pas mon visage. Je lui tends la perche :
- Oui, alors vous voudriez bien que je m'engage pour compléter l'effectif ?
- Eh bien oui, là ! Ca m'arrangerait bien, tu sais ?
- Je vais réfléchir. Jeudi, je vais voir ma mère à Orléansville et je lui demanderai ce qu'elle en pense. Je ne suis pas majeur mais, comme mes parents ont divorcé, je suis émancipé depuis quelques jours, depuis mes dix-huit ans.
- J'avais regardé ta fiche à la mairie. Je savais que tu avais dix-huit ans. Je suis pas venu sans biscuit …tu parles !
- Bon, eh bien je vous donne réponse Vendredi prochain.
- C'est d'accord ! Fais ton possible, ce serait impec !
- Promis, Monsieur le Maire.
- Melchior ou Monsieur Lonjon, si tu veux, me reprend-il. Au revoir.
- Au revoir, Monsieur Lonjon ! "
Le jeudi suivant, je demandai à ma mère ce qu'elle pensait de mon engagement.
Elle craignait, mon frère étant déjà sous les drapeaux, de multiplier les risques… Mon grand-père Amédée Mino, qui était président des AC-VG (5) d'Orléansville, me montra des textes de loi qui précisaient que deux frères ne pouvaient être mobilisés en même temps, tout en me disant de bien réfléchir à ce que j'allais faire…
Je sus sans doute trouver les arguments nécessaires en minimisant les risques car, malgré tout, à regrets, ma mère me donna son accord. J'aurais pu, légalement m'en passer mais je préférais cette solution.
J'allai donc à la mairie de Montenotte où je signai un vague papier, puis on m'envoya au Q.G. de la compagnie, à Ténès, où était employé mon camarade d'enfance Gaby Baños et là, on m'équipa de pied en cap en ''militaire''. Les vêtements puaient la naphtaline à plein nez !
Je me retrouvai, doté d'un PM 38 flambant neuf et de ses sacoches en cuir jaune garnies de chargeurs gragés jusqu'à la gueule, dans l'équipe des U.T de Montenotte où mon arrivée donna l'occasion de ''fêter ça''… au rosé, la fameuse spécialité du village…
Baurin reprit, après avoir rajusté d'un mouvement tournant, son inséparable béret :
" Tu vois la maison de Chéranti, celle où y'a la lampe du poteau qui éclaire la rue qui descend vers la route d'Orléansville, même pas à 100 mètres de là ?
- Bien sûr ! répondent en chœur plusieurs voix facétieuses .
Le père Baurin hausse les épaules et s'abstient, souverain, de riposter aux impertinents.
- Bon, alors, tout à l'heure il était presque deux heures …
- Du matin ? Père Baurin ? lance Jeannot, pince sans rire.
- Oui, même que j'ai regardé ma montre après que j'aie tiré ..
- Alors ? Alors ? fait le chœur des auditeurs.
- Alors, je vois un type… il sort de l'ombre, il saute d'un écalyptus (sic) à l'autre, après, il rase les murs … comme ça …". Il mime malhabilement le visiteur nocturne.
Tout le monde se tait, chacun assis dans ses couvertures ou son sac de couchage, suspendu aux lèvres du conteur … ou à l'affût d'une interruption spirituelle …
- " Alors, le type saute, agrippe le haut du mur de la maison à côté Chéranti, tu sais, celle qu'elle a les murs comme jaunes ou presque, avec une courette, et il se hisse comme un chat sur le haut du mur et il se met debout, comme çà ! Comme un chat, je te dis, comme un chat !
- Noir ! lance Jeannot, provocateur.
Illico, en m'esclaffant, j'entonne : ''Je cherche fortune tout autour du Chat Noir …
- Chuuut ! lance Jacques pour faire taire les perturbateurs.
- Ti es con, parole, va ! Ecoute bien, c'est sérieux, ça " reprend Baurin.
- Attendez, l'interrompt notre chef de groupe, et si c'était un militaire qui venait retrouver sa chérie en cachette pour lui en mettre un coup ?
- Il était pas en militaire, ce type, je l'ai vu comme je te vois, alors. Et de toute façon, c'est tant pis pour lui ! Alors, c'est le couvre-feu ou pas le couvre feu ? Pour moi, de là qu'il venait, du ravin de la montagne, c'est un fellouze, c'est sûr et certain, ma main à couper !
- Mieux la main que … lance une voix hilare.
- Bon ! Encore ! Vous me laissez parler ou quoi ?
- Allez-y, allez-y, continuez ! l'encourage-t-on.
- " Bon ! Alors, je prends doucement ma ''canne à pêche'' (6), je lui mets la hausse 200 !, je vise bien le type … comme çà ! et … Pan ! je lui donne sa mère, dis ! Il a disparu aussitôt mais je crois bien que je l'ai touché, de la façon qu'il est tombé..
- Venez me montrer " invite Jacques, intrigué.
Ils escaladent l'échelle l'un derrière l'autre et disparaissent par la trappe du plafond. On perçoit un vague conciliabule.
Chacun se retourne sur sa couche et cherche à replonger dans un sommeil réparateur : la nuit n'est pas finie et les tours de garder nous attendent.
C'est alors que la sonnerie tremblante et indécise du téléphone de campagne EE8 qui relie notre poste au Quartier du 2ème Bataillon du 22e RI nous faut sursauter. Je me lève car mon lit de camp est le plus proche de la porte d'entrée, au mur de laquelle pend la sacoche de l'appareil.
Une voix me demande quelle est la raison du coup de feu. Cela fait dix bonnes minutes que la détonation a retenti et le poste militaire n'est qu'à trois cents mètres tout au plus…
" Il serait temps de vous inquiéter, çà fait déjà un bon moment, on aurait eu le temps de se faire couper les claouis avant que vous réagissiez …
Passe-moi l'appareil " me demande Jacques, sentant le ton monter.
Diplomatiquement, il se présente et accommode l'affaire. Néanmoins, il demande que, dès le jour levé, on nous envoie une section de renfort pour aller perquisitionner dans le quartier où notre tireur a vu disparaître le présumé fellagha. Cependant, avec beaucoup de précautions, il s'enquiert prudemment si personne n'est sorti du poste militaire cette nuit.
" Négatif ! " lui est-il répondu.
" Ouf ! " nous dit-il avec un large sourire de satisfaction.

Au petit jour, dans la pénombre et la bise de l'Ouest, tout le monde est prêt. L'agitation de la nuit n'a pas permis de se rendormir et c'est les yeux bouffis du manque de sommeil que nous nous dirigeons, en frissonnant, l'arme à la main, en deux colonnes, de chaque côté de la rue, vers les maisons suspectes.
Le lieutenant Doucy est accompagné d'une douzaine de soldats du contingent. Le Chef de Bataillon Parfait en personne dirige la manœuvre !
La troupe est déjà déployée à intervalles dans le secteur. Chaque soldat est planqué, qui dans l'embrasure d'une porte, qui derrière un eucalyptus ou un pylône électrique, ou couché dans le caniveau de la rue.
Baurin est appelé . Il montre le mur de la maison jaune :
" Tiens ! Tiens ! Regarde ! dit-il, tout excité et fier de prouver qu'il n'a pas rêvé : ces traces de souliers contre le mur tout neuf. Quelqu'un a grimpé par là, c'est sûr ! " explique-t-il.
On appelle Rachid, l'interprète. Il frappe à la porte : " Kheul l'beb ! " Ouvre la porte !
Une voix de femme lui répond : " Ani djeï " J'arrive.
La porte s'entrebâille. Le lieutenant Doucy, pistolet en avant, la repousse et pénètre dans la courette.
Deux soldats jaillissent à sa suite, la MAT 49 (7) au poing.
L'interprète appelle les occupants de la maison et les rassemble dans la cour. Il y a là deux jeunes femmes, deux autres bien plus âgées et trois enfants entre 2 et 5 ans qui hurlent et hoquètent de peur.
Un des appelés sort des pâtes de fruits de rations de combat de la poche de jambe de son treillis et les offre aux gamins dégoulinants de morve et de larmes qui se calment…peu à peu.
Les questions fusent :
" Où sont les hommes ? Où est ton mari ? As-tu d'autres enfants ? "
Les vieilles répondent de façon très volubile, en un flot d'explications entrecoupées de jérémiades, de supplications, de gesticulations et de serments sur Dieu ..
Bien entendu, elles ne savent pas, elles n'ont rien vu, rien entendu …
Pendant ce temps, d'autres militaires fouillent toutes les pièces, vident les coffres et les armoires sondent les murs en les percutant.
Cette fouille n'apporte aucun élément et, au bout de longues minutes, l'ordre est donné de se retirer.
A la sortie, les commentaires vont bon train et il faut se rendre à l'évidence : rien ne peut confirmer les observations de Burin.
On écarte les badauds accourus en nombre… et on les disperse. La rue se vide.
Tout le monde se retire donc en bon ordre…
Tout le monde ? Non.
Rachid s'écarte du groupe et se plaque au mur de la maison, derrière le pylône en béton qui jouxte le mur. Personne ne l'a remarqué et il reste seul.
Quelques temps après, Rachid se rend en courant au PC du Bataillon. Il demande à voir l'officier de renseignements, le Lieutenant Lopez.
Conciliabule. On alerte la section d'intervention. Au passage deux ou trois membres de l'U.T. sont sollicités et se joignent à la petite troupe. Je suis du lot. Je m'habille à la hâte, je saisis mon PM 38 et nous voilà partis.
On se dirige à nouveau vers la maison suspecte du matin.
Même scénario, mais cette fois, les questions sont accompagnées de menaces.
Je m'interroge. Pourquoi cette nouvelle visite ?
C'est alors que Rachid déclare aux femmes que, de son poste d'écoute contre le mur de la cour, il les entendues parler d'un homme qui était venu de nuit… Elles sont confondues !
Il a même remarqué qu'une des femmes avait les yeux rougis, comme si elle avait pleuré.
Il a interrogé des voisins qui lui ont dit avoir entendu des pleureuses dans le quartier, la nuit passée. C'est suspect, il faut donc reprendre la fouille de la maison.
On recommence donc à vider coffres et armoires. Rien. Toujours rien !
Une des jeunes femmes accompagne les soldats dans leurs investigations.
L'O.R.(8) la suit. Il l'observe à la dérobée.
Soudain, alors que ses hommes sont passés devant la cheminée il a intuitivement une sensation curieuse. Du pied, il écarte les braises et les cendres du foyer.
La femme se fige. Aucun doute, il y a quelque chose …
On va chercher un seau d'eau pour éteindre le feu. L'eau jetée se vaporise, le surplus s'écoule dans l'âtre et … disparaît sous les cendres !
De la crosse de son fusil, un soldat écarte et retire les cendres de la cheminée. Il sonde alors le sol avec sa crosse. Le foyer rend un son creux… Une plaque métallique apparaît. Avec sa baïonnette, le soldat cherche sous la cendre le bord de la plaque, insère la pointe de son arme sous la plaque, la soulève et, en guerrier avisé, fait un bond en arrière.
Les femmes se mettent alors à hurler et à pleurer en se griffant le visage.
Aucun doute, c'est là…
On dégage la plaque et une ouverture se dessine. On va chercher une lampe et, lorsque le faisceau balaie la fosse, Rachid s'en approche avec circonspection. Puis il se recule et dit :
"Y'en a un là-dedans…mais il ne bouge pas …"
Un volontaire s'introduit dans la cache.
" Alors ? demande Lopez
(1) Mon lieutenant, c'est un jeune type mort et bien mort !
(2) Bon, sortez-le de là, qu'on y voie plus clair.. "
Le cadavre est extrait de sa cachette.
Les femmes hurlent de plus belle et il faut les emmener de force dans la cour.
Le mort est fouillé puis déshabillé afin de voir s'il a été blessé …
Alors là, stupeur ! : il est émasculé !!!
La balle de Baurin l'avait amputé … de ses attributs virils !

L'interrogatoire des femmes nous apprit que le mort était un jeune fell qui était venu retrouver une femme, hébergée chez sa mère.
Le corps fut laissé à la famille afin qu'il soit enterré selon le rite musulman…

Jacques TORRES, le 15/03/2 002.



(1) Pistolet Mitrailleur (MAC Manufacture d'Armes de Châtellerault), modèle 1 938.
(2) Unités Territoriales
(3) Préparation Militaire (PM Elémentaire)
(4) Préparation Militaire Supérieure
(5) Anciens Combattants et Victimes de Guerre
(6) Canne à pêche : nom donné au fusil LEBEL, au canon très long, par les soldats musulmans : ''canapiche''. Par extension, tous les fusils à canon long : Garand, US 17, 303, etc.
(7) Pistolet-mitrailleur Manufacture d'Armes de TULLE, modèle 1 949.
(8) Officier de Renseignements.