Commune de Lavigerie (Djendel)
Histoire
Créé
en 1894.
Du nom de Charles LAVIGERIE (1825 - 1892), Cardinal, fondateur des missionnaires
d'Afrique ou ''Pères blancs'' et ''Soeurs blanches''.
Il sera Primat d'Afrique et Archevêque puis cardinal de Carthage.
Nom Arabe: DJENDEL puis BISKRA
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Rues, places et monuments
Statue de Msg Lavigerie
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Vie quotidienne
le Marché arabe
les transports en commun
Récits
UNE EXPERIENCE
DE PETITE COLONISATION INDIGENE EN ALGERIE. Les colons
arabes chrétiens du Cardinal Lavigerie.
A 180 kilomètres à l’Ouest d’Alger, la voie ferrée
et la route nationale d’Alger à Oran traversent une sorte de cuvette
que forme en cet endroit la vallée du Chélif. Plaine à céréales,
paysage charmant au printemps, quand les champs sont couverts de leur épais tapis de fleurs
aux teintes éclatantes, et l’horizon souligné par le violet mauve
des crêtes environnantes. Mais plaine rude, souvent brûlée par des
températures excessives dès le débuts de l’été, et où le voisinage
du Zaccar et de l’Ouarsenis ne suffit pas à attirer beaucoup de
touristes. Plaine de monoculture où on ne voit pas encore les merveilles
des vergers, des vignes, des jardins maraîchers de la Mitidja, symbole
attirant du triomphe de la colonisation algérienne. Mais ici aussi,
du bon travail s’est effectué et se poursuit. « La plaine »
a son histoire de luttes des colons contre un climat capricieux,
souvent cruel, un sol inégalement fertile. Et même entre Rouïna
et les Attafs, la croix archiépiscopale, signature laissée par le
Cardinal Lavigerie sur la plupart des monuments dus à son initiative,
avertit le passant qu’en ces lieux une œuvre spirituelle a couronné,
en l’utilisant pleinement, l’œuvre de transformation commencée par
la simple colonisation agricole . Deux petites églises paroissiales,
dédiées à St Cyprien et à Ste Monique, à côté d’un vaste établissement
de charité « Bit Allah », Hôtel Dieu, rappellent une expérience
qu’un jugement simpliste ne suffit pas à pénétrer. Car cette
expérience est complexe : elle touche à l’agriculture, l’éducation,
la colonisation. Pour la comprendre, il faut bien savoir ce que
Mgr Lavigerie a voulu faire, et ce qui advint en fait de son œuvre
en distinguant soigneusement les points de vue : agricole et
démographique. Quand Mgr
Lavigerie arriva à Alger, en 1867, la question indigène était posée
d’une manière telle qu’on considérait comme dangereuse toute influence
possible des idées chrétiennes sur l’évolution du peuple. Jusqu’alors
les milieux gouvernementaux et l’opinion publique redoutaient tellement
les réactions qu’auraient peut-être provoqué des réformes, des mouvements
de transformation trop hardis qu’on négligea à peu près complètement
l’éducation tant économique que morale ou sociale de la masse indigène.
Avec Bugeaud, la transformation du pays se fit grâce à l’installation
du plus grand nombre possible d’européens. Au point de vue économique,
les indigènes tirèrent déjà, de l’établissement des colons, les
avantages certains qui découlent partout, pour les paysans, de la
sécurité et de l’exemple de procédés techniques supérieurs :
ils trouvèrent un placement plus avantageux pour leurs produits
ou leur travail mais ils ne furent jamais associés directement aux
opérations de colonisation. Au point de vue social, le principe
indiscuté était qu’il ne fallait introduire aucune modification
importante dans la société indigène. C’était un axiome que l’opposition
de cultures, entre colonisateurs et colonisés, était irréductible,
et ce système reçut une consécration officielle par la voix de Napoléon
III, protecteur du « Royaume Arabe ». Au nom de
ces principes, l’administration s’était opposée, parfois violemment,
à toutes les tentatives faites par les deux premiers Evêques et
leurs clergé en vue d’entrer en contact avec les indigènes, et d’exercer
auprès d’eux leur apostolat de charité. Défense de faire intervenir dans
l’évolution des indigènes aucune norme étrangère à l’Islam… ! C’est pourquoi
Mgr Lavigerie, dès son arrivée à Alger, crut nécessaire de réagir
contre les préjugés de la politique suivie jusque là. « Non,
certes, écrivait-il, que je veuille employer, pour ramener à nous
les indigènes, des moyens que n’approuverait pas la prudence. Sans
croire, en effet, comme je viens de le dire, au fanatisme bien profond
des Berbères, je comprends que nous devons nous interdire tout ce
qui pourrait ressembler à des provocations et fournir des prétextes
de troubles aux tribus mal soumises. Mais je crois que deux moyens
d’assimilation, très praticables et très efficaces, sont possibles
dès maintenant : les œuvres de charité pour tous, les écoles
françaises pour les enfants. L’œuvre de transformation ainsi entreprise
sera longue sans doute, mais enfin elle sera commencée ; tandis
que, avec le système actuel, on ne sera pas dans dix siècles plus
avancé qu’aujourd’hui »… Mais Mgr Lavigerie, sur ce terrain
de l’éducation totale du peuple, ne pouvait et ne voulait que «
donner un exemple ». Il pouvait donner cet exemple en exerçant
simplement les droits de l’Eglise dans l’exercice de la charité
et la préparation lointaine de l’évangélisation qui rapprocherait
déjà les indigènes de la mentalité française et chrétienne ;
le Gouvernement pourrait ensuite déduire de cet exemple une ligne
de conduite en transposant sur le plan de la colonisation proprement
dite les suggestions qui se dégageraient de l’expérience de l’Archevêque.
Tout au moins la glace serait brisée : on ne craindrait plus
de s’occuper directement de l’éducation française des indigènes,
d’une manière ou de l’autre. Il est probable
que Mgr Lavigerie pensait uniquement en quittant Nancy, à donner
un exemple de cette nature. Le 8 septembre 1867 , il fit remettre
à Napoléon III une note proposant l’établissement de 4 ou 5 maisons
hospitalières en Kabylie ; « toute propagande religieuse
directe y serait absolument interdite par l’Archevêque » qui
estimait que « ces établissements pourraient être très utiles
pour rapprocher de nous les indigènes par les bienfaits que ceux-ci
en recevraient ». Malgré la
bienveillance de l’Empereur envers ce projet, qui ne comportait
pas de prosélytisme direct, des difficultés étaient sur le point
d’éclater avec l’administration algérienne, relatives à sa mise
à exécution. C’est alors
que les évènements de « la grande famine » conduisirent
les expériences de l’Archevêque d’Alger dans une autre direction.
Il fut amené à « donner un exemple » selon une toute autre
formule : ce ne fut plus seulement une œuvre d’apostolat mais
une véritable petite entreprise de colonisation chrétienne qu’il
fonda afin de montrer, par des faits, ce que pouvait être une petite
société d’indigènes, assimilés à la société française par leur adhésion
à la religion chrétienne. L’Archevêque
entendait montrer que loin d’être une utopie condamnée par la nature
même des choses, la christianisation des indigènes était on ne peut
plus favorable à leur évolution, à leur civilisation,
et que des Arabes-Chrétiens pouvaient être de vrais « colons »
artisans actifs du renouveau de leur pays, aussi bien que les européens,
Français, Italiens, Espagnols ou Suisses, qu’on établissait alors
journellement en villages de colonisation. On sait comment
la famine de 1867 – 1868 fit, selon les estimations les plus optimistes,
cent mille victimes environ parmi la population indigène. C’est
dire les misères de toutes sortes qui s’offrirent au zèle des sociétés
charitables aussi bien qu’à la prévoyance du Gouvernement. A Alger
seul, les Dames de charité distribuaient des aliments à près de
1.200 nécessiteux indigènes ; l’Archevêque en secourait directement
600. Mais ce fut surtout l’œuvre des orphelinats qui prirent rapidement
des proportions importantes. Mgr Lavigerie
recueillit plusieurs centaines de petits arabes abandonnés qu’il
répartit en deux orphelinats. Il confia les garçons aux Pères Blancs
de Maison-Carrée, les filles aux Sœurs Blanches de Kouba ( deux
congrégations missionnaires qu’il venait de fonder). Ces enfants
furent ainsi sauvés de la mort, éduqués, catéchisés et, pour la
plupart, sur leur demande , baptisés. C’est pour assurer l’avenir
d’un certain nombre d’entre eux, qu’il créa de toutes pièces les
deux villages de St-Cyprien et de Ste Monique dans la plaine du
Chélif. On voit ce
que ces fondations ont de particulier, d’unique même en Algérie.
Installer sur un territoire rendu disponible et alloti, une population
de trente à quarante foyers, ne fut pas chose rare. Plus de neuf
cents « villages de colonisation » furent ainsi créés
et les deux tiers des terres actuellement acquises à la colonisation
furent livrés à la culture européenne par ce procédé. Mais ces fondations
furent toujours au moins en ce qui concerne l’acquisition des terres,
l’œuvre de l’administration. D’autre part, ce sont des colons européens
qui furent installés de cette manière, sauf dans quelques « centre
de recasement » destinés précisément à recevoir des indigènes
qui avaient aliéné toutes leurs terres au profit de la colonisation.
La condition faite aux habitants de ces centres de recasement était
d’ailleurs très différente de celle d’un colon européen. Les fondations
de Mgr Lavigerie ont ceci de particulier que ce prélat voulut, pour
les orphelins, des villages tout semblables à ceux des européens,
et qu’il ne disposa pour son entreprise que des moyens ordinaires
d’un particulier. D’où une double
série de difficultés, outre les oppositions de l’opinion publique
et de certains députés algériens : difficultés matérielles,
de l’achat de terres encore soumises au statut réel indigène, des
travaux publics, de la construction des habitations, de l’achat
du mobilier, du cheptel, etc. Difficultés d’ordre moral inhérentes
à l’éducation des orphelins et orphelines, âgés de plus de dix ans
quand on les recueillit et qui, après cinq ou sept ans d’orphelinat,
se trouvaient en ménage, à la tête d’une petite exploitation d’une
vingtaine d’hectares. Il est évident
que leur éducation sociale devait se poursuive encore durant plusieurs
années, si on voulait vraiment en faire des colons français, des
Français d’esprit et de cœur, totalement adaptés à la vie française,
à nos mœurs familiales et sociales. Le village
de St Cyprien fut inauguré le 15 mars 1873 ; celui de Ste Monique
deux ans plus tard. Au point de vue matériel ces deux villages ont
eu une histoire en tout comparable à celle des centres de colonisation
européenne de la même région. C’est-à-dire que sitôt finie la période
d’occupation provisoire, ou le bail, durant laquelle les colons
ne pouvaient ni aliéner, ni hypothéquer leur ferme, la propriété
se concentra entre les mains d’un petit nombre d’occupants. Les
autres quittèrent le pays et l’agriculture. Cet exode a pu avoir
des causes diverses. Les facteurs d’ordre simplement économique
y sont certainement pour beaucoup. Une petite ferme de vingt hectares
ne se prête qu’à la culture des céréales dans cette région et ne
fait vivre que bien difficilement même avec des procédés de culture
modernes, une famille nombreuse de cinq à dix enfants, comme étaient
celles des colons arabes chrétiens. La trop petite étendue des concessions de terres à céréales a peut-être
été d’ailleurs l’erreur la plus commune dans les débuts de la colonisation
de bien des régions en Algérie. On avait donc
installé 32 concessionnaires de 20 hectares à St Cyprien et 26 à
Ste Monique. Il y a aujourd’hui ( en 1936 ) en tout 45 habitants
arabes-chrétiens à St Cyprien vivant sur : 11 exploitations de moins de 20 hectares, 2 exploitations de
plus de 100 hectares. A Ste Monique, il y a 51 habitants
arabes-chrétiens dirigeant : 4 exploitations de moins de 20
hectares, 5 exploitations de 20 à 100 hectares, 2 exploitations
de 100 à 500 hectares et 1 exploitation de plus de 500 hectares. Si la réussite
matérielle n’a pas été meilleure que celle de la petite colonisation
européenne dans la même région ( ce dont on ne saurait faire retomber
la faute sur les arabes-chrétiens) , il est par contre intéressant
de s’arrêter aux résultats démographiques et moraux de l’expérience.
Ici encore il serait vain de prétendre que tout a été parfait dans
l’histoire des deux villages, comme d’ailleurs dans n’importe quel
village de la colonisation européenne. Mais ce qui est frappant,
c’est de constater qu’on ait abouti presque dès les débuts à faire
adopter aux arabes-chrétiens des manières extérieures de vivre tout
à fait conformes aux mœurs françaises. « La
première chose qui me frappa, raconte un témoin de 1888, fut le
caractère de santé et de prospérité des femmes. A part le tatouage
qui en défigurait quelques-unes, elles avaient, sous le costume
européen fort bonne mine…Par la façon dont ils se nourrissent
et se vêtent , les Arabes francisés de St Cyprien et de Ste
Monique ne se distinguent pas des colons européens ». Ils ne
s’en distinguaient pas non plus par leurs habitations qui étaient
tenues en bon état, sans être dissimulées derrière une montagne
de jujubiers épineux. Ni par leur vie de famille, leur manière de
travailler et de cultiver : dans leurs champs de blé on ne
voyait plus les touffes de palmiers nains caractéristiques du demi
défrichement de la culture indigène traditionnelle. Même les aspects
les moins favorables de leurs manières de faire se rapprochaient
beaucoup plus des excès commis chez les européens que des mœurs
indigènes musulmanes. On ne les vit pas tentés de subir l’attirance
de leur milieu d’origine. Il ne fut jamais question de recours aux
marabouts ou d’actes de sorcellerie et superstitions semblables.
Pas de participations aux « fêtes du mouton », plus de
circoncision, tous actes très mêlés à la vie sociale. Au point de
vue strictement religieux, à peine cinq ou six personnes au maximum
ne mettaient pas bon ordre à leur état religieux pour les fêtes
de Pâques ; le plus souvent pas une seule abstention de ce
devoir pascal. Une assistance nombreuse à la prière du soir à l’église,
en commun. Un recours fréquent aux sacrements. Au moment de la mort
un courage, dans la foi et l’espérance, édifiant, même chez ceux
dont la vie avait été assombrie par bien des faiblesses. Une autre
série d’évènements capables de caractériser l’évolution des arabes-chrétiens
des Attafs est constituée par les relation qu’ils eurent soit avec
les européens soit avec les indigènes musulmans. La manière dont
ils seraient considérés et traités par ces deux catégories d’Algériens
devait être une épreuve décisive pour juger l’assimilation des arabes-chrétiens.
Or ils triomphèrent dans les deux cas. Il y eut bien
d’abord quelques querelles avec les Européens des environs :
c’est même dans ces querelles qu’il faut chercher l’origine de certaines
réputations peu favorables aux arabes-chrétiens. Mais en fait les
colons de St Cyprien et de Ste Monique furent très tôt mêlés à ceux
de Rouïna, Kherba, les Attafs, etc …qui travaillèrent tout naturellement
à leur assimilation. Entre 1890 et 1900, cinq arabes-chrétiennes,
veuves de la première génération, ou jeunes filles de la deuxième
génération, nées à St Cyprien ou à Ste Monique , épousèrent des
Européens qui vécurent désormais dans les villages arabes-chrétiens
où ils trouvaient exactement les mêmes conditions de vie française
que dans les villages de la colonisation officielle. Ceci est suffisamment
suggestif. Avec les Musulmans,
les habitants de St Cyprien et de Ste Monique n’eurent également
que des relations de bon voisinage. Les Musulmans savaient que ces
jeunes gens étaient d’origine musulmane, mais ils savaient aussi
qu’on les avait laissés entièrement libres, qu’ils auraient pu quitter
l’orphelinat et les chrétiens s’ils l’avaient voulu, et ils ne parlaient
pas en mal de la création des villages. Vis-à-vis des jeunes colons
eux-mêmes, ils n’eurent jamais que des procédés analogues à ceux
dont ils usent à l’égard des Européens. Ils ne les considéraient
pas comme des « m’tournis », des indigènes apostats et
européanisés, mais comme des enfants d’européens, et les relations
ne créèrent jamais de difficultés spéciales. Aujourd’hui
l‘éducation française de la petite société arabe-chrétienne est
achevée depuis longtemps et rien ne pourrait révéler extérieurement
à un visiteur occasionnel de St Cyprien et de Ste Monique, l’origine
spéciale de ces villages. L’expérience de leur fondateur a donc
réussi parfaitement à ce point de vue. Mais il y a plus. On se tromperait beaucoup à ne mesurer
qu’à l’effectif actuellement présent dans les centres, les progrès
humains de l’essai de colonisation arabe. Car si la population y
a diminué, ce n’est pas qu’elle ait dépéri : elle s’est déplacée,
comme on l’a déjà indiqué. Cette remarque s’applique aux village
de St Cyprien et de Ste Monique, comme aux centres de la colonisation
officielle européenne. Et le résultat le plus frappant de la dispersion
des arabes-chrétiens, c’est leur fusion dans le milieu algérien
européen. Non seulement ils ont conservé toutes les manières françaises
de vivre qu’ils avaient dans leurs villages, mais par de nombreux
mariages avec des européens, ils sont entrés dans ce « creuset
des races » où se forme le peuple algérien. Il y a actuellement
plus de trois cents descendants vivants des colons arabes-chrétiens,
dispersés en Algérie. Depuis l’origine
, ces descendants des colons arabes ont fondé plus de cent cinquante
nouveaux foyers. Sur ce nombre plus de cent sont des ménages (légitimes)
mixtes, c’est-à-dire dans lesquels un des deux conjoints est européen.
Et même aux dix-huit ménages mixtes fondés par des arabes-chrétiens
de la deuxième génération ( les petits-enfants des orphelins de 1867) ne correspond jusqu’à
ce jour aucun ménage fondé entre arabes-chrétiens de la même génération. On peut d’ailleurs
remarquer qu’en s’unissant par des mariages aux « algériens »
européens, les descendants des colons arabes ne se sont pas haussés
ipso facto à un niveau social élevé. La lutte pour la vie a été
dure pour eux comme pour les autres colons, obligés de se faire
une situation en quittant une terre qui ne pouvait pas les nourrir.
D’une façon générale, les arabes-chrétiens sont restés dans un état
modeste. Mais précisément, ce qui est intéressant à remarquer, c’est
que le problème des relations entre les deux éléments juxtaposés, indigène et européen, qui constituent
la population actuelle de l’Algérie est absolument résolu dans leur
cas, dans le sens de l’assimilation complète. Et cette fusion ne
s’est pas faite sur la base d’une instruction supérieure, ni par
l’accès à des dignités ou a des situations administratives élevées ;
elle s’est réalisée grâce à l’éducation morale et à une conception
chrétienne de la vie. De la sorte, un autre écueil a été évité :
celui de l’assimilation, dans la classe populaire, des deux sociétés
en présence ; mais assimilation aboutissant à des mœurs plus
musulmanes et arabes que chrétiennes et françaises. Cette assimilation
à rebours n’est malheureusement pas tout à fait chimérique dans
certaines bourgades d’Algérie. En tout cas,
l’exemple donné par Mgr Lavigerie qui a voulu montrer qu’on pouvait
faire d’indigènes chrétiens des « colons algériens» dignes
d’une nouvelle France, est probant. Pourrait-on arriver à des résultats
analogues, non pas sur quelques individus isolés »naturalisés »
ou citoyens » (et encore sont-ils parfois incapables de se
plier avec leurs femmes et leurs enfants, aux mœurs françaises opposées
à la mentalité musulmane), mais sur de petits groupes sociaux complets
en dehors de la religion chrétienne ? La chose n’enlèverait
rien aux mérites de l’éducation proposée par Mgr Lavigerie. Et les
missions catholiques, il est vrai, cherchent à étendre le règne
du Christ parce qu’en lui seul est la vérité et un principe de vie
à la fois temporelle et surnaturelle, non pas parce que ce serait
le seul moyen possible d’arriver à une culture, une civilisation
humaine. Mais il est à remarquer que jusqu’à présent on n’a
point vu en Algérie, en dehors du christianisme considéré comme
levain de vraie civilisation, une évolution sociale de groupe comparable
à celle qui s’est effectuée à Saint Cyprien et Sainte Monique. Une dernière
remarque semble s’imposer. Le fondateur a eu en vue, comme fin éloignée,
de prouver par ces villages, la possibilité d’une régénération des
indigènes grâce aux principes chrétiens. Mais ce n’est pas dans
cette œuvre qu’il faut chercher le mode selon lequel il concevait
pratiquement cette régénération ni les moyens qu’il entendait mettre
en œuvre pour la réaliser. Quand au mode,
tout a été hâtif aux Attafs : l’éducation, l‘évolution, l’assimilation,
les conditions mêmes de l’œuvre l’imposaient. Les orphelins n’avaient
pas eu une éducation suffisante et le milieu indigène n’était pas
encore assez évolué pour que les nouveaux colons puissent pénétrer
de principes nouveaux leurs anciennes manières de vivre, dans ce
qu’elles avaient de bon ou d’indifférent, pour s’imposer ensuite
à leurs congénères comme
un petit groupe vraiment arabe tout en étant chrétien. Ils ne pouvaient
plus, sans péril au moins pour leur formation, revenir à la société
indigène. On leur fit donc adopter immédiatement un extérieur européen
et français qui leur permit de prendre rang dans la société colonisante.
Et les résultats de l’expérience n’en ont été que plus frappants.
Mais il est évident qu’on ne transforme pas un pays en instruisant
une telle quantité d’orphelins qu’ils deviennent, eux et leurs descendants,
une fraction importante de la population totale. L’entreprise était
intéressante comme œuvre au profit d’une catégorie d’individus,
et il est probable que Mgr Lavigerie n’aurait pas arrêté ses fondations,
tandis qu’il lui restait encore plus de cinq cents orphelins à établir, s’il n’avait pas rencontré
autant d’hostilité de la part de l’opinion publique d’alors et des
milieux gouvernementaux. Mais l’action des orphelinats agricoles,
même rendus permanents aurait été forcément très limitée. Ia Revue
« Algéria » 4ème année N°44 . Octobre 1936. J.Tiquet. |
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