Commune de Carnot
Avec l'apport de Helyett BRESSON et de Jeanne NOURRY
Histoire
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Lazare CARNOT (né à NOLAY, Côte d'Or le 13 Mai 1753
- Mort en exil à MAGDEBOURG en 1823). Général et Comte d'Empire.
Il fut mathématicien et Conventionnel républicain.
Stratège et organisateur de l'Armée de la 1ère République, il fut surnommé
l'Organisateur de la Victoire ou le Grand CARNOT.
Il eut deux fils :
- Nicolas Léonard Sadi, (PARIS 1796-1832) officier et physicien renommé
(principes de thermodynamique : un théorème porte son nom).
- Lazare Hippolyte (St OMER, 1801-1888), Ministre de l'Instruction Publique
en 1848.
Le fils de ce dernier, Marie-François Sadi CARNOT (LIMOGES 1837- 1894),
Ministre puis Président de la République en 1887, fut assassiné par CASERIO
en 1894, à LYON.
Le frère du précédent, Marie-Adolphe (1839-1920) fut physicien et minéralogiste.
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CARNOT, situé sur la rive droite du Chéliff a été créé
en 1881 pour recevoir une centaine de colons dont voici la liste relevée
par Mr Edgar SCOTTI.
21 familles établies en Algérie dès 1848-1850 et appelées '' les Algériens
'' :
Jean-Marc GUICHARDON, Georges ROUDOT ,Victor PERETTE , Jules VIGNERON, Léon
VIGNERON, Pierre TRISP, PASTUREAU- LESPRIT, Alfred GAUDET, Théodore GALTIER,
Jules BRESSON, Pierre THOMAN, Louis FLANDIN, VAPEREUX, COUPPOIS, Pierre
REIGNIER, Michel AMELER, Bernard GUETRI, Théodule THIBAULT, Jean BOLIVE,
Jean COLS, Irénée BEUJON , François DUMAS, Nicolas VAUGUN, Jean HAREL, Siffrein
VIRE soit 78 personnes
58 familles arrivant de métropole (originaires du S.E de la France, ''les
Immigrants '':
Jean-Baptiste LAPOUYADE, Nicolas DUCOU, Charles VENISSAC, Louis GEORGE,
François PASSERON, Louis ROLLAND, Antoine RISSET, Pierre DUCOU, François
AMAT, Joseph ESCUDIE, Pierre DARBON, Auguste VERNET, Auguste BULDY, Jean-
Baptiste APPE, Pierre TOESCA, Jean-Louis TARDY, Jean COUDERT, Marius-Gustave
Baur, Jean TAUZIAC, LOUVET et CLER, Vincent PATRIARCHE, Auguste LASSAUSSE,
François MESNARD, Henri LAPOUYADE, Lucien JUNILLON, Joseph SCHOEFFER, Louis
LAMBERTON, François ZAEGEL, Joseph MERCADIER, Jacques MAURIN, Etienne LIMOUJIS,
Pierre EYMARD, Léon SAYEN, Etienne LUPANES, Ferdinand BLANCHARD, Jean-Jacques
ROY, Jules-Just BONNET, Antoine LAPPARA, Joseph HAT, Jean LALANNE, Jacques
MERCADIER, André RENIER, Baptiste CRUCCIATI, Jean LALANDE, Augustin LAURENT,
Etienne DAMAIS, Pierre BONS, Marin SIGAUD , Jean-Baptiste ROUQUET, André
HURTER, François LAJUS, Pierre MAUMON, Auguste COUDERT, Claude GROS, Antoine
ALTEYRAC, Vincent COMPAN, Pierre AUDIBERT soit 127 personnes.
En 1900, moins de vingt après sa création, Carnot comptait 4 076 hts dont
534 européens
Maire : Eugène BOUTONNET |
Distillateurs : Marie COUDERT, Lucien JUNILLON, Jean APPE |
Adjoint : Antoine RENIER | Entrepreneur
de travaux publics : Antoine BERNARD |
Secrétaire : Emile DUPUIS | Epiciers
: Antoine ALI, Hamed ELADJ, M'zian ben ZIAM, FLANDIN, Georges ROUDOT |
Garde-champêtre : Joseph FLOTAT | Grains :
El HADJ, Louis FLANDIN, François PASSERON |
Crieur public : Albert DUCOU | Hôtel de
France : Joséphine BEY |
Interprète : Ahmed BOURRADOU | Hôtel de
la Poste : Louis ROLLAND |
Boucher : Jules GOUNELLE | Maçons :
Alexis CABOT, Félix BADIALE |
Médecin : Dr ROUX | Maréchaux-ferrants
: Jules BRESSON, Antoine RENIER Jean COUDERT, Louis COUDERT |
Société musicale : Union de Carnot | Menuisiers
: Antoine GUERGUE, Louis BIALLET |
Chef de musique : COUDERT | Pharmacien
: Eugène ROUX |
Boulangers : Auguste DOMANGEON ORANGE | Plâtrier
:François BOURDIER |
Briquetier : J.MAILLEBIAU | Tabacs et
poudre de la régie : ROUDOT |
Cafés : Antoine ALI, Joséphine BEY, A.GUERGUE , Louis ROLLAND | Transports
terrestres : Louis ROLLAND |
Charrons forgerons : Jules BRESSON, Antoine RENIER | Transport
des dépêches : Louis ROLLAND |
Coiffeur : BUSQUET | Nouveaux
arrivants : CHICHE, HAIK, GHNASSIA |
Cordonnier : Justin EYRAUD | |
Agriculteurs
: Antoine ALTAIRAC, A.BERNARD, Bernard FISCHER, Louis FLANDIN, Auguste
GUIBERT, Georges LOUIS, Firmin RIVIERE, Eugène SIGAUD, J.MAILLEBIAU,
Eugène ROUX , Pierre TOESCA, Vincent TORRE |
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Viticulteurs
: J.Baptiste APPE, A.BERNARD, BOUILLET, GUIBERT, L. JUNILLON, Armand
MESNARD, MOULIS, ROUQUET, FOUQUE, RIVIERE ,Eugène ROUX, TORRE, Marius
FOUQUE |
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Agriculteurs
Viticulteurs : J.B.APPE, A.BERNARD, Georges LOUIS, RIVIERE, Vve Augustin
VIRE , BRESSON |
Nom arabe : MHABIL: "Les Faux" ou "Les Faucilles"
: mihbal, au pluriel mHabil (et non maHbil
= les fous).
A ensuite été dénommé
EL ABADIA.
Photos
Vues générales
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Rues, places et monuments
rues
monoments
parc et jardin
Bâtiments
l' Ecole et l' Horloge
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la Ferme Bresson
la Mairie
la Poste
le Foyer rural
la Villa des roses
Ouvrages d'art
Ecoles
Vie quotidienne
loisirs
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cérémonies
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les habitants
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Récits
" Tu te présenteras à la mairie de CARNOT avec ce procès-verbal d'installation.
MEGHARSA est un douar ou un village qui dépend de la commune de CARNOT.
Attention, n'oublie pas de me renvoyer au plus vite ton PV d'installation
rempli et signé par le maire : il détermine ton traitement, tu vois,
Jacquot ? - Bien M'sieu ! J'ai compris. Merci. Au revoir ! - Au revoir et sois prudent, hein ? " Celui qui terminait ainsi notre entretien était Monsieur Edouard RUIZ, ''Doudou'' pour les intimes ou ses anciens élèves dont j'étais... Il avait, avant d'occuper les fonctions de Chef du Service Départemental de l'Education Nationale d'ORLEANSVILLE, été durant de longues années le Directeur estimé et respecté de l'Ecole de Garçons LALLEMENT d'ORLEANSVILLE. On ne précisait pas ''publique'' ou ''privée'', l'Ecole, c'était l'Ecole Publique. L'autre, c'était l 'Ecole des Sœurs''... On ne s'excitait pas sur la ''laïcité'' : on faisait son boulot, on éduquait. Et on soignait aussi... Bon ! A quelques jours de cela, début Octobre 61, nanti de mon ''PV d'installation'', je pris au petit jour la route d'Alger pour me rendre à CARNOT, à une quarantaine de kilomètres à l'Est de chez moi. De CARNOT, je ne connaissais que deux ou trois camarades de collège ainsi que des noms de clientes de son magasin que ma mère m'avait cités, pour le cas où... La nationale Oran-Alger, très fréquentée, était réputée sûre et n'était pas soumise aux convois ni aux ouvertures et fermetures de route, sauf dans des secteurs montagneux ou boisés comme vers MILIANA et le massif du ZACCAR. Néanmoins, je me munissais à chaque voyage du 6,35 MAB (Manufacture d'Armes de Bayonne) familial ou d'un des autres pistolets non déclarés de la maison que je glissais, armé, sous ma cuisse, à tout hasard. De peu d'efficacité en cas d'attaque, cette arme me rassurait néanmoins et me procurait un confortable sentiment de sécurité. A la sortie de la ville, des auto-stoppeurs font signe au passage des autos. Soudain, je freine : j'ai reconnu Ahmed B. C'est le frère cadet d'un de mes amis d'enfance. Il a deux ou trois ans de moins que moi. Son père, préparateur en pharmacie, a été le compagnon du mien lors de la guerre de 1 939- 45. La famille B. demeure à deux rues de la nôtre et, depuis que nous sommes tout petits, le fils aîné, Mohamed, et moi nous sommes très bons amis. Nous allons ensemble à l'école, nous partageons nos goûters, les jeux dans le quartier et à la ''pépinière'', ce bosquet clairsemé de pins qui abrite nos exploits de ''tarzans''... et autres sottises d'enfants ... Ahmed B est alors moniteur d'un Centre de Formation de la Jeunesse Algérienne à OUED-FODDA, à une vingtaine de kilomètres sur cette route d'Alger. Il fréquente le Centre Albert CAMUS, qui est réputé comme couveuse de cadres délibérément pro-FLN (Front de Libération Nationale algérien) de la future Algérie... Ahmed s'approche de l'avant de la 404, il se penche pour voir le conducteur et, me reconnaissant, il marque un arrêt et se recule, faisant un signe négatif de la main. J'ouvre la vitre : " Allez, n'aie pas peur, va ! Monte ! Tu ne me connais pas assez ? " Comme à regret, il s'installe. Je lui tends la main en fixant son regard dans lequel je lis de la peur. Je démarre et quelques instants plus tard : - " Tu sais, Ahmed, les manifs, c'est loin, je ne t'en veux plus. D'ailleurs, il y a assez qongtemps qu'on vit ensemble pour que tu puisses me juger, non ? Ce n'est pas parce que DE GAULLE est venu que notre vie de tous les jours et nos habitudes doivent changer, d'accord ? " Silence absolu. Je reprends : " Ho ? Tu vas faire la gueule jusqu'où ? Bon, je vois que ce que ton père t'a appris ne t'a pas encore suffi. Tu te rappelles : à la manif près de l'Hôtel Hadjez où De Gaulle était soi-disant arrivé, tu excitais les arabes contre nous. Vous étiez d'un côté des CRS et nous de l'autre. Tu avais des caillasses dans les mains, je t'ai vu... Moi, je suis sorti de mon camp et je suis venu te trouver, avec les autres meneurs, tes copains. J'ai réussi à vous faire comprendre que si vous commenciez à jeter des cailloux, nous on lancerait des briques et après ...tcheklala ! (bagarre). Je vous ai dit aussi : alors, vous, vous criez " Djezaïr yahia !'' (Vive l'Algérie), Algérie Algérienne ! Vive De Gaulle !" et nous on crie : " Algérie Française ", " De Gaulle au poteau ! " et après, chacun rentre chez soi... tranquille ! - Je me rappelle qu'après la manifestation, mon père m'a fait la leçon, tu sais. Il m'a dit : tu vois Jacquot, là ? Ton frère, toi et lui, vous êtes comme des frères. Vous avez été ensemble depuis toujours et c'est pas maintenant que ça doit changer. Tiens-toi le pour dit autrement, malgré ton âge, je te donne une tannée, tu as compris ? Je te le dis devant lui. Ouallah ! (Au nom de Dieu). - Je sais, c'est moi qui lui en avais parlé. Je pense que tu ne devrais pas t'exciter avec tout ça. C'est de la politique et la manif c'est dangereux pour tous. S'il y en a un qui commence on ne sait pas où ça s'arrête, et toi, tu allais commencer ! - Ca s'est pas passé tout à fait comme ça mais ça n'a pas été trop grave, là, me rétorque-t-il. A quelques-uns, je sais que vous avez tapé sur les enragés qui renversaient et cassaient les voitures et vous les avez dispersés. Après, il y avait des barrages au Nord, au pont de la Ferme ; au Sud, à la Bocca Sahnoun, à l'Ouest, à la route d'Oran et à l'Est aussi, partout, partout, et ceux qui se sont faits attraper par les goumiers ils ont ramassé une tannée terrible, terrible ! Après ça, on dit qu'il y a eu des morts, tu sais ça ? - Ca, je n'ai pas vu. Il y a eu des coups de feu paraît-il, mais qui a tiré ? La Force Locale, les fells, l'armée française ou l'OAS ou qui ? - Nous on tue pas, on n'est pas des tueurs. L'Algérie nouvelle a besoin de tous ses fils. - Ayya, atlag ni ! (Allez, lâche-moi !) Nous non plus, on n'est pas des tueurs... Tu vois ? (Je prends le pistolet sous ma cuisse et, tout en roulant, je le pointe vers lui). Si je voulais, là, il n'y a personne, il fait encore nuit, personne ne t'a vu ... je te flingue et je te jette dans le fossé. On dira que c'est le FLN ou l'OAS (Organisation Armée Secrète) ou un règlement de comptes FLN-MNA mouvement Nationaliste Algérien) ... Tu vois, ce serait facile, non ? Parole, si c'était pas toi ... " Il sourit 'jaune'', très mal à l'aise. - " Allez, va, matkhafch' (n'aie pas peur), tu n'as rien à craindre avec moi. Je t'emmène à OUED-FODDA sans problème, Ahmed. " Nous arrivons dans la ligne droite de PONTEBA, bordée d'immenses eucalyptus. Je relance la conversation, pour détendre l'atmosphère : - " Tu te rappelles ? Les plongeons dans le canal d'irrigation, l'ehna (là), avec Moh? - Eh oui, on venait à vélo, toute la bande du quartier... mon frère avait du mal à me porter sur son porte-bagage : 6 kilomètres ! et j'avais le cul massacré ! Heureusement, tu m'as montré comment mettre du carton sur la grille du porte-bagage, ça faisait moins mal aux fesses... Putain, y'avait pas ces évènements de merde !" Ensuite, on attaque la longue côte du grand Chembel puis, après le col, la rapide descente du petit Chembel. On passe le pont du chemin de fer, puis la piscine, et on arrive dans le village. Je dépose Ahmed au centre, près de la fontaine. Il me serre la main avec un large sourire. - " Attends, attends, Ahmed, écoute : les arabes, vous êtes des copieurs. - ??? Pourquoi tu me sors ça ? - Nous on a toujours klaxonné Al-gé-rie ... fran-çaise : ti-ti-ti ... ta-ta, et vous autres maintenant vous klaxonnez Djé-za-ïr ...Ya-hia : ça fait : ti-ti-ti ... ta-ta : pareil. Vous copiez, on sait plus qui klaxonne quoi... - D'accord mais maintenant, on commence à klaxonner ti-ti-ti ... ta-ta-ta : trois ti et trois ta pour Al-gé-rie ... Al-gé-rienne... C'est De Gaulle qui l'a inventée, t'chouff ? (tu vois ?) - Allez, va, tu es un bon, Tchao ! A bientôt ! " Il me sert alors une phrase de la propagande gaulliste : " Vous avez votre place avec nous dans l'Algérie nouvelle ! - N'choufou ! Mektoub, ya khouya ! (Nous verrons! C'est écrit, ô mon frère !). Tchao ! Si tu veux, tu me téléphones et je t'emmène. Je ferai la route aller le Lundi et le Vendredi matin et je rentrerai le Mercredi soir et le Samedi soir " J'ajoute en m'esclaffant : " Mais, ne le dis pas à tes copains les fells ! - Rigole pas avec ça ! Parle pas de malheur ! Bon tu viens à la maison et on en parle. Besslama ! (au revoir) Saha merci ! " Quelques instants après j'arrive au carrefour qui conduit à CARNOT. Le soleil commence à boire les nappes de brume qui flottent encore, attardées sur la plaine. Je pénètre dans le village et je demande à un passant où se trouve la mairie. Je gare la 404 sur la place, près d'une horloge bizarre. J'entre dans la mairie, je me présente au secrétaire de mairie. J'exhibe le fameux PV d'installation portant la mention : ''Ecole publique MEGHARSA Mixte'''. Le fonctionnaire s'éclipse après m'avoir fait asseoir. Il revient quelques instants plus tard, flanqué d'un personnage qui s'annonce comme adjoint au maire. " Il y a un problème : l'école de MEGHARSA a été brûlée par les fellaghas : elle est inutilisable. Je ne sais pas quoi faire de vous. Je téléphone à Orléansville. Revenez en fin de matinée. " Je profite de ce répit pour faire une visite rapide du village. Je demande où se trouve la route de MEGHARSA et je m'y engage pour aller me rendre compte sur place de ce qu'il reste de ''mon'' école mais je croise une jeep militaire dont les occupants me font signe de stopper. J'explique mon projet et les légionnaires qui occupent le véhicule me répondent que c'est interdit pour des raisons de sécurité. Il faut - je m'en doutais un peu, mais on peut essayer ...- un convoi. pour aller jusqu'à ''mon'' école ou ce qu'il en reste. Je rebrousse donc chemin et j'effectue une reconnaissance des rues, de la statue de Lazare, des jardins, enfin de quoi tuer le temps. A l'heure convenue, je me rends à la mairie. L'air réjoui, l'adjoint m'annonce que je suis affecté à l'école de garçons de CARNOT, provisoirement, en remplacement de M DONSIMONI, le Directeur, qui est souffrant mais, me précise-t-il. " Il est possible que vous restiez plusieurs mois. Ca nous arrange bien, car on va récupérer des enfants de MEGHARSA. Venez, je vais vous présenter à vos collègues ". Nous rencontrons Mme Clotilde BONNET, née VITSE, dont je connais le frère, camarade de collège, puis M SADOK, hautain et distant : c'est lui qui assurera l'intérim de la direction ... ensuite Jean-Jean LEVY, au sourire narquois et à l'œil pétillant, Paul DELAIR qui est un peu l'enfant du pays : nous avons plusieurs amis communs, enfin un autre jeune instructeur que nous avons par la suite surnommé ''Lâza'', ce qui ne signifie rien. Nous faisons le tour des locaux scolaires. Il y a des appartements de fonction en préfabriqué, tout neufs, et l'un d'eux m'accueillera. L'adjoint au maire me remet les clés et s'éclipse. J'emménage aussitôt en quelques minutes... Par expérience, je fais toujours suivre mon ''barda'' d'urgence : lit pliant LAFUMA, duvet, gamelle, réchaud, trousse de toilette, lampe électrique, transistor, linge de rechange... Et c'est ainsi que je commençai l'année scolaire à CARNOT. Je prenais la plupart de mes repas au restaurant des sœurs AGNES, deux quadragénaires célibataires dont je fus longtemps le seul pensionnaire qu'elles couvaient des yeux à tour de rôle de façon gourmande ... Mais on disait qu'elles n'aimaient pas les hommes ... Le soir, leur bar était fréquenté par quelques clients, surtout des légionnaires dont le 3ème ( ?) Régiment d'Infanterie était stationné à CARNOT et dans les environs. Un soir, chez moi, je fus contacté par un sous-lieutenant, un imposant barbu blond-roux, taillé en athlète, que j'avais vu au bar des sœurs AGNES. Il me demanda si je pouvais prendre contact avec les gens de l'OAS d'Orléansville pour avoir des ''renseignements''. J'ai donc servi de facteur... ce qui fait que j'appris que De Gaulle devait venir à Orléansville et qu'à cette occasion, une embuscade devait être montée par la Légion pour en finir avec ce monstre. Je n'étais pas tenu au courant des détails, bien entendu... Ce n'est qu'après coup que je sus que la grande Zohra - toujours aussi méfiant et rusé - avait utilisé deux convois - dont, comme bien souvent, un convoi-leurre - et qu'il ... s'était posé en hélicoptère directement sur le toit de l'hôtel où il devait intervenir et résider. Hélas ! Ni les LRAC (Lance Roquettes Anti Char = ''bazookas'') de la Légion, ni ses AA 52 (Arme Automatique, modèle 1 952), nises archers ne purent agir et l'attentat échoua, une fois de plus ! N'aâl Chitane ! (Je maudis le diable !) Quelques jours après, une jeep arrive près de mon logement. Un légionnaire en descend. Il frappe à ma porte je lui ouvre, il me salue militairement et se présente : " Caporal X Hermann. Monsieur l'Instituteur TORRES ? - C'est moi. - Cadeau de la part de mon Lieutenant! " Il décharge deux caisses en bois de pin avec des poignées en corde et les dépose dans l'entrée. " Qu'est-ce que c'est, caporal ? " Sans un mot, il ouvre les grenouillères de la première caisse : des grenades à main ! Des défensives ! Toutes neuves ! La caisse en est remplie ! Il ouvre la deuxième caisse : des boîtes de bière ! " Euh ... vous remercierez votre lieutenant mais je ne sais pas quoi faire de toutes ces DF, il faut les remporter, pour nous, c'est trop risqué ! Pour les bières, c'est gentil mais on n'est que trois pour boire tout ça, alors... - Keine problem (pas de problème) je viens aider vous, d'accord ? Ce soir ? Oui ? - ??? (Je n'ai pas le temps de trouver une réponse) - Bon, à ce soir ! " conclut-il tout seul. Il charge la caisse de grenades sur le siège arrière de la Willys et démarre sur les chapeaux de roue. Mes camarades accourus en sont stupéfaits. - " Chance, c'est Mercredi et comme demain, on ne travaille pas, on va pouvoir s'amuser tard !", dit Jean-Jean en se frottant les mains, toujours partant pour la bringue ! Et le soir même, Hermann était au rendez-vous, et avec un camarade ! Quelle soirée ! Quelle nuit ! Après avoir ingurgité force bières, tous les participants étaient plutôt plus que moins éméchés, ça chantait, ça braillait plutôt : des chansons à la mode, des rengaines, des chants de marche... Mais notre Hermann, lui, avait sa dose : il lui prit l'idée d'instruire Paul et Jean-Jean au maniement de son pistolet... Il en était si fier qu'il voulut en démontrer la précision... Un boîtier de dérivation électrique du plafond fut pris pour cible et, malgré mes avertissements, avant que je puisse esquisser la moindre opposition, une balle partit ! Je ne me souviens pas lequel de mes autres compagnons se saisit de l'arme et tenta de faire mieux que Hermann... Un deuxième trou dans le plafond ! On frappe à la porte. Je vais voir. C'est la PM : la Police Militaire ! Pas de quoi rire ! " Bonsoir Monsieur l'instituteur ! Qu'y a-t-il ici ? " demande un képi blanc, la MAT 49 (Pistolet-Mitrailleur de la Manufacture d'Armes de Tulle, Modèle 1 949) au poing. Heureusement, la jeep garée devant la porte a dû le renseigner plus ou moins... En souriant, pour prendre une contenance, j'ouvre grand la porte et je lui montre le spectacle : Hermann est étalé par terre, les autres sont affalés sur mon lit... des boîtes de bière parsèment le sol et une épaisse fumée de tabac opacifie l'air de la pièce... Un bouge ! Je montre au sergent de patrouille les trous dans le plafond et le pistolet d'Hermann... " Ah ! Hermann ! Hermann ! Très fatigué ! Excusez-le ! Demain nous envoyons un homme pour réparer. " Deux hommes de la patrouille prennent Hermann par les bras et par les jambes et le projettent sans ménagement dans la benne de leur camion ! L'autre légionnaire, peut-être plus lucide, embarque sans ''aide''... Ils vont se faire ''souffler dans les bronches''. tous les deux, c'est sûr ! On les a revus plusieurs jours après mais ils n'ont pas voulu nous dire quelle punition leur avait été appliquée... Les trous du plafond furent discrètement réparés, ce qui m'évita de fournir des explications vaseuses à la mairie et, à part les violents ''maux de cheveux'' du lendemain, la soirée qui aurait pu mal tourner ne nous laissa que ce souvenir ... ainsi qu'une salutaire méfiance envers la bière Heinekken ! A quelque temps de là, un jeune lieutenant de SAS ( Section Administrative Spécialisée) vient occuper l'appartement voisin du nôtre pour quelques jours. Nous sympathisons. Nous faisons des parties de cartes. Les distractions sont rares à CARNOT, en ces temps de guerre. Seul Paul DELAIR, musicien accompli, passe des heures sur le piano de la salle désertée du foyer rural voisin... Un jour, le ''lieut''' nous annonce que sa jeune épouse va venir de France le rejoindre et qu'elle passera quelques jours avec lui. Il nous confie qu'il est bien ennuyé car son chauffe-eau à gaz n'est pas en état de fonctionner. Si l'eau froide lui suffisait pour sa toilette, il venait toutefois prendre ses douches chez nous. Il estimait que ses retrouvailles nécessiteraient - la passion nouvelle aidant - une hygiène plus confortable et ... plus fréquente ... Aucun plombier n'exerçait plus à CARNOT. Je me proposai pour aller voir ce qu'on pouvait faire pour essayer de ''dépanner'' ce camarade. Je suis donc allé dans l'appartement : les installateurs avaient tout bonnement oublié de raccorder les deux tuyaux d'eau au chauffe-eau et il manquait quelques centimètres de tuyauterie. Je ne savais pas souder... A l'aide de bouts de tuyau d'arrosage toilé - discrètement ''prélevés'' dans le matériel d'arrosage du jardin public ( !) et de cerclages de ''zozzo'' (fil de fer), renforcés plus tard par quatre colliers de serrage de récupération, donnés par mon grand-oncle Titi, bricoleur invétéré, je résolus le problème, au grand soulagement du ''lieut'''. Gageons que, grâce à ce bricolage pour le moins hasardeux, le lieutenant et madame n'eurent pas de rejeton commandé à CARNOT ! Je ne l'ai jamais su ... Ce lieutenant, comme tant d'autres officiers, et comme nous tous, allait être balayé par ''le vent de l'Histoire''... Les temps étaient vraiment surréalistes : un de mes amis, Yvon NOURRY, Instructeur également, avait été interdit de département par le Préfet OU RABAH pour ''provocation'' ou ''subversion'' : en effet, il arborait sur l'antenne de sa 404 strictement identique à celle que ma mère me prêtait, des rubans noirs et blancs. C'étaient les couleurs du club de football le GSO : Groupement Sportif Orléansvillois mais, pour OU RABAH, c'étaient les couleurs de l'O.A.S. ! Dans le doute ... Donc, Yvon était en poste à la limite du département d'Orléansville. Absurdité et iniquité des pleins pouvoirs conférés par l'Article 16 ! Or, la fiancée d'Yvon demeurait précisément à CARNOT. C'était la sœur d'un autre bon camarade de collège, gai luron et franc ''déconneur''. De plus, je ne pouvais rien refuser à Yvon, victime d'une telle imbécillité ... Il sollicita mon aide pour maintenir le contact - épistolaire - avec sa dulcinée ... Je faisais donc le facteur et j'acheminais scrupuleusement les billets doux et les réponses de mon ami et de sa fiancée. Lui m'attendait dans sa 404, au-delà du pont sur l'oued qui marquait la limite du département d'Alger, sa résidence forcée. Les échanges avaient lieu là : enveloppes, photos parfois. Puis chacun repartait vers son propre département... chargé d'espoirs et de tendres pensées... Amour, Amour, quand tu nous tiens ! Je crois me souvenir d'avoir quelquefois - en tout bien tout honneur, bien sûr - prêté la clef de mon appartement de CARNOT aux tourtereaux... Ils se marièrent et furent heureux... mais, contrairement à ce que prétendent les contes de fées, ils n'eurent pas de nombreux enfants ! |
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