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Avec l'apport de Helyett BRESSON, de Jean-Pierre COSTA et de Jacques VESCHAMBRE

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BOU CAÏD ...

Ce nom qui fleure bon le koummoun et le piment bien de chez nous était, dans mon enfance, associé à ceux d'autres villages voisins : BENI HENDEL, MOLIERE, AÏN ANTAR, (la fontaine d'Antar, le géant ...)
C'étaient des noms de rêve, un peu mystérieux, un peu mythiques, des noms de ''la montagne'' : l'OUARSENIS, les forêts de chênes-liège, les sangliers, les mines de zinc et de plomb de la société de la ''Vieille Montagne'', le ''Pic'' de l'Ouarsenis, dont on pouvait apercevoir le capuchon de neige en hiver...

La neige ! Le premier contact que j'ai eu avec cet élément, je le dois à un de nos voisins, M Joseph CIXOUS, un des fils du photographe d'Orléansville qu'Alphonse DAUDET cite dans son ''Tartarin de Tarascon''. Bien que très âgé, ce personnage célèbre - que ses petits enfants nous emmenaient lorgner à la dérobée - trônait sur sa chaise cannée dans l'entrée minuscule de l'atelier de son successeur de fils, en costume trois pièces gris à rayures, appuyé sur sa canne, la barbe florissante, le feutre gris vissé sur la tête, et le verbe haut.

Joseph, lui, était marbrier de son état. Sa famille logeait dans la rue Clémenceau, à quelques mètres de notre maison et nos deux familles étaient liées au point que ma mère et les CIXOUS firent construire en association une maison de vacances sur la plage de La Marine à Ténès. Ils en occupaient le rez-de-chaussée et nous l'étage.

Pour son métier qui exigeait le transport de lourdes pierres tombales, M CIXOUS louait un arabe et son chariot qui, à l'occasion du lundi de Pâques, servait aussi à transporter jusque sur les berges du Chéliff le matériel et la ribambelle d'adultes et d'enfants qui allaient ''manger sur l'herbe''.Les plus vaillants suivaient à pied et de temps à autre, ils prenaient place sur la charrette, autant pour bavarder que pour se reposer. L'arabe protestait derrière ses épaisses lunettes car ses malheureux mulets, en dépit des claquements de son ''perpignan'', peinaient alors à tirer le chariot bondé. Mais, comme on le retrouvait fidèle au poste chaque année, il devait bien, je suppose, y trouver son compte...
Mais, dès que cela lui fut possible, ''Jo'' - comme l'appelait Clairette, son épouse - passa son permis de conduire et fit l'acquisition d'une camionnette Peugeot bâchée qui fut une des premières du quartier.
En brave homme qu'il était, il en faisait généreusement profiter tous les voisins et c'est ainsi qu'un jour, on enfourna dans la benne de ''La Peugeot'' les couffins, manteaux, bottes et enfants pour aller ... à la neige ! Quelle joie pour tous les marmots. Un mot magique, la neige : la féerie de Noël avec les sapins, les cadeaux. A peine connaissions-nous du gel la mince pellicule de glace que parfois, émerveillés, nous prélevions quelque rare matin frileux dans une flaque. La mordante sensation de ''grand froid'', nous ne la connaissions que sur nos mains grâce aux barres de glace dont nous allions acheter des portions à l'usine à glace pour en garnir les glacières familiales. Ce furent ensuite les glaçons produits par les ''Frigidaire'' à pétrole qui suppléèrent les glacières et autres sorbetières à manivelle. Le ''créponné'' dont nous nous régalions en été nous donnait l'illusion de cette neige inconnue...

La route étroite et sinueuse transforma vite les éclats de rire en nausées et vomissements qui provoquèrent plusieurs haltes, réclamées par des passagers verdâtres ... en mal de ... vidanges.
Enfin, nous arrivons à proximité. Joseph fait descendre tout son monde pour admirer la montagne et prendre des photos qui immortaliseront l'expédition, car c'en était une pour beaucoup d'entre nous.

On nous montra le ''Pic'' de l'Ouarsenis ; " près de 2 000 m ! " au flanc duquel on pouvait voir les éboulis des galeries de mines et, à l'Est, la ''Chaîne'' d'Abd el Kader ainsi nommée parce que la légende voulait que des guerriers de l'émir rebelle aient été traqués puis enfumés dans une improbable grotte que les guides arabes improvisés désignaient de loin aux rares visiteurs du site... On ne parlait pas encore de ''touristes'' à l'époque...
A chaque fois que nous y avons pénétré, les arabes qui nous accompagnaient restaient à distance respectueuse de cette grotte, par crainte des ''djenoun'', des ''tergoun'' et autres mauvais génies et fantômes qui la hantaient mais aussi parce que les ''boubâra'' qui y logeaient, c'est bien connu, Ouallah ! j'te jure et je crache ! se jettent férocement sur les hommes pour s'emmêler dans leur chevelure et leur sucer le sang tout en les dévorant ...

Monsieur CIXOUS avait obtenu la clé de la colonie de vacances d'AÏN ANTAR afin d'abriter ses passagers pour le repas.
La camionnette s'immobilisa devant le bâtiment, cerné par les chênes-liège. La neige arrivait jusque contre les murs ! Déjà, par l'ouverture de la bâche de la camionnette, nous avions pu apercevoir des plaques de neige au bord de la chaussée, mais là, c'était bien mieux, c'était un tapis continu !
Oublié le ''mal de mer'', tandis que les parents s'affairent à aménager un emplacement à l'abri pour le repas, tous les enfants se précipitent pour faire, ''comme dans les films'' des boules de neige et bien sûr, un bonhomme de neige !
Mais, au bout de quelques minutes, la plupart de nos combattants et de nos sculpteurs-modeleurs se plaignaient de la brûlure de la neige et il fallut toute la douceur des mains des mamans pour apaiser la douleur avec des bisous et pour sécher les larmes des plus jeunes.
Pour changer, les plus grands décident de faire de la luge, comme au ''ciné''. Un vieux banc de bois qui traînait derrière le bâtiment fut hissé au sommet de la pente et quelques volontaires, dont Claudou, l'aîné des Cixous, le casse-cou de permanence, prirent place sur le banc retourné, pieds en l'air. L'engin lancé prit bien de la vitesse mais, après quelques dizaines de mètres, l'avant du banc, qui n'était pas pourvu d'une partie courbe comme le sont les luges ou les traîneaux, se ficha dans une bosse du terrain et le banc étant brutalement stoppé, tout son contenu fut éjecté. Ce fut un tas de bras et de jambes emmêlés, hurlant de rire et parfois de douleur qui fut déversé sur le blanc tapis.
Nullement découragés, les audacieux perfectionnèrent leur engin : sur les conseils de Jo, on cloua une vieille tôle à l'extrémité du banc, on la recourba et alors, le banc devint enfin la luge ou le bobsleigh. Idéal ou presque...
Ce fut à qui s'y disputerait la place. Cependant, comme le moins amusant, le plus long et le plus fatigant était bien entendu de ramener la ''luge'' au sommet à chaque fois, les plus faibles durent renoncer : " Tu remontes pas le banc, tu monteras pas dedans ! "
Le repas fut promptement expédié et les jeux ne cessèrent que devant l'insistance des parents et aussi, hélas, parce que, le soleil baissant, il fallait songer à repartir.
La journée passa comme une heure ...
Peu de temps après, l'insécurité croissant, la colonie de vacances fut abandonnée et, bien entendu, il ne fut plus question d'aller se promener dans cette forêt qui devenait le refuge des fellaghas.
A cette époque, je faisais partie de la troupe des Scouts de France d'Orléansville, la ''1ère Orléansville, Groupe BUGEAUD'' J'étais dans la patrouille des Castors : " Castors toujours ! ...La-bo-rieux ! " était notre cri de guerre...
Nous avions organisé une expédition à BOU CAÏD pour effectuer l'ascension du mythique ''Pic'' de 2 000 m (1 985 m disent les dictionnaires mais, chez les jeunes, on avançait même 2 002 mètres !).
Notre chanoine avait pour assistant un jeune prêtre, l'Abbé CHAMBON. C'était un jeune homme d'une trentaine d'années environ. Il était de haute taille, très plantureux et sanguin. Au moindre rayon de soleil, abandonnant sa pesante soutane, il se mettait en pantalon court. On commençait à peine à dire ''en short''. Il avait des cuisses impressionnantes de volume et lorsque nous jouions à la ''soulte'' - cette espèce de rugby français - il marquait souvent des points car les grappes d'enfants qui se suspendaient à lui pour l'arrêter ne le gênaient pas le moins du monde : il les traînait en force jusqu'à la ligne de but !
On aurait dit un sanglier assailli par la meute des chiens !
Son teint poupin ainsi que son patronyme lui valurent vite le facile sobriquet - vous vous en seriez douté - de l'abbé Jambon !
Il possédait une 4 chevaux Renault et, malicieusement, nous observions notre aumônier lorsqu'il s'insérait dans son véhicule. C'était autant pour admirer son exploit que dans l'espoir d'une défaillance de sa méthode de contorsionniste.
On se demandait comment une si grande carcasse pouvait contenir dans une si petite voiture !
Donc, notre abbé ''Jambon'' se dévoua un jour, en l'absence de notre Chef bien aimé Jean POWAGA, surnommé "Jean Po" ou "pauvre gars", pour chaperonner une équipe dont je faisais partie qui était chargée d'aller effectuer une reconnaissance des grottes de l'Ouarsenis afin de préparer une sortie de toute la troupe.
Nous arrivons à BOU CAÏD et nous sommes logés chez le Directeur de la société des mines de la ''Vieille Montagne''. Il nous accueille et nous présente un de ses employés arabes qui est chargé de nous piloter vers des grottes et des galeries qui ne présentent pas de danger. C'est un adulte sympathique à la poignée de mains franche et au regard direct. Il est mince et musclé, son hâle fait penser qu'il passe plus de temps sur les pentes de la montagne que dans les galeries de mine.
Nous passons la nuit dans la salle de réunions et le lendemain matin de très bonne heure afin d'éviter la chaleur, nous nous équipons.
Nous voilà donc en route. Il fait beau et la perspective de vaincre ''le plus haut sommet d'Algérie'' nous galvanise. Aussi, très rapidement, nous attaquons l'ascension : il y a un sentier de chèvre jusqu'au sommet et notre guide semble voler de pierraille en éboulis. L'abbé fatigue, lui. Il souffre de la chaleur et n'arrête pas de s'éponger le visage et le cou avec un immense mouchoir. On se concerte et le guide lui conseille de nous attendre à l'entrée d'une grotte que nous visiterons à notre retour. Là, à l'ombre, il aura frais car un courant d'air permanent sort de la bouche de la galerie. On confie donc à l'abbé le matériel et, ainsi allégés, il ne nous faut pas beaucoup de temps pour parvenir à la cime. Séance de photos. Et on descend.

Nous retrouvons notre mentor. Pour se protéger des ardeurs de ''Kaddour'', il s'est confectionné une coiffure avec un mouchoir noué aux quatre coins et ce couvre-chef improvisé l'ampute de toute la dignité de son état et de sa respectabilité. Cela déclenche dans l'équipe des sourires et des rires discrets que l'abbé réprime en grommelant. C'est qu'il n'est pas facile, l'abbé Chambon ! Et puis, il est fatigué, fatigué !.
Nous pénétrons dans la grotte à la suite du guide. Il a sa lampe à carbure dont il nous a démontré l'utilisation. Nous nous avons des lampes électriques et des piles de rechange, mais on a décidé d'allumer à tour de rôle, par précaution. L'abbé n'a pas voulu ''se dégonfler''. Il suit, comme les autres.
Le boyau se rétrécit et le guide nous explique que, si nous voulons accéder à une grande grotte qu'il nous décrit comme ''la plus merveilleuse de la montagne'', nous devrons franchir une étroite chatière. Il s'y coule le premier. En effet, un rétrécissement de la galerie, à un mètre de hauteur environ, se présente. On distingue même l'élargissement qui le prolonge, presque à portée de bras. Le guide est à la sortie et nous conseille. Les spéléonautes se glissent dans l'orifice, à la queue leu leu, dans l'ordre de passage. Nous sommes tous des adolescents et il n'y a pas trop de problèmes, à part quelque coude ou genou râpé par la roche, mais lorsque vient le tour de notre abbé, c'est un autre problème. Il a beau suer, se contorsionner, se retourner, sur le ventre, sur le dos, du côté droit, du côté gauche, souffler, cracher, maugréer et tempêter, rien n'y fait, il n'arrive pas à franchir de passage. Il insiste et, pire, voilà qu'il se coince ! Jean-Louis et moi sommes derrière lui, en serre-file et nous pouvons faire demi-tour vers la sortie. Mais les autres ? Nous essayons une autre méthode : nous aidons l'abbé. Ceux qui ont déjà franchi l'étranglement le tirent par les bras et nous, derrière, nous le poussons en prenant toutefois soin de ne pas porter nos mains sur l'auguste postérieur... Au bout de quelques minutes, la température montant, au sens propre mais aussi au sens figuré, essoufflés, il fallut se rendre à l'évidence : l'abbé ne passerait jamais, sauf à lui faire subir une cure intensive d'amaigrissement ou à dynamiter la chatière ! Alors, arc-boutés sur l'étroite paroi, Jean-Louis et moi, agrippés aux énormes jambes de l'ecclésiastique qui gigote et tressaute, nous réussissons, au prix d'un effort exténuant, dents serrées et muscles crispés, à le débloquer. Ouf !
L'air manque. Les scouts qui ont franchi la chatière continueront l'exploration. Nous, nous rebroussons chemin afin d'escorter notre ''Jambon'', complètement défait.
L'eau de deux gourdes suffit à peine à la remettre de ses émotions.

Pauvre abbé ! Je pense qu'il n'a jamais oublié cette aventure spéléologique...
Là encore, à cause des ''évènements'', ce fut la dernière sortie des scouts à BOU CAÏD.