CASTELLUM TINGITANUM

L' occupation romaine dans le Chéliff

Notes d'Edmond REISSER,
de l'Ecole des Hautes Etudes (Histoire et Géographie) et de l'Ecole Nationale du Louvre,
ancien Trésorier Général de l'Algérie.

Illustration par Jacques TORRES



 

 

A 228 km d'ALGER, sur la rive gauche du CHELIFF, au confluent du TSIGHAOUT se dresse la petite sous-préfecture d'ORLEANSVILLE.
Entourée d'un bois de pins toujours verts que visitaient encore il y a à peine trente ans de sveltes gazelles, elle est, quoi qu'on en dise, l'une des résidences les plus agréables de la plaine du CHELIFF. D'aucuns l'ont dénommée ''le four de l'Algérie''. La note est forcée et nous tenons à protester. Cependant, il est des étés où le thermomètre ''oscille'' entre 32 et 35 degrés dans les appartements ce qui porte la température extérieure à 40 et 44, si vous supposez une élévation naturelle de 2° au dehors. Mais cela est compensé par la fraîcheur de l'eau, l'absence d'humidité, l'aménité des habitants parmi lesquels qui ne possède dans la colonie de nombreux et excellents amis.

Le 23 Avril 1843, la colonne du Général GENTIL dite de MOSTAGANEM comprenant les troupes de la Division d'ORAN et celle du Maréchal BUGEAUD venant d'ALGER opéraient leur jonction dans la vallée du CHELIFF à peu près à égale distance de MILIANA et de MOSTAGANEM. Le plan du Maréchal consistait à dominer la plaine et à créer au centre un établissement qui communiquait avec un port voisin.
L'endroit était donc tout désigné seulement, pour exécuter ce plan, tandis que la colonne GENTIL regagnait MOSTAGANEM et que celle du Maréchal BUGEAUD prenait la route de TENES, il fallait, dit le Lieutenant PONTIER, ''un homme de coeur et de génie''. Cet homme fut le Colonel CAVAIGNAC. On vit alors ce que l'on n'avait pas vu depuis les Romains : des maisons s'élever le long des rues nouvellement tracées, car les Arabes ne s'y étaient point installés.

Aucun auteur du ........(?) n'autorise cette conjecture, même pas EL BEKRI à l'imagination si fertile pour qui, de la ville des BENI OUADIL (?) située au confluent de la MINA et du CHELIFF, on aboutirait directement à BENI OUASIFEN (?) au confluent de l'Oued FODDA et du CHELIFF.
Le Lieutenant PREVOST, dans la revue archéologique de 1842, juge ainsi l'oeuvre du Maréchal BUGEAUD poursuivie sur son initiative par un de ses plus fidèles lieutenants : le Colonel CAVAIGNAC : "La position choisie était éminemment militaire". Centre de la fertile vallée du Chéliff qui (que ?) va longer la route d'Alger à ORAN, unique voie commode pour aller du CHELIFF aux repaires de l'OUARSENIS, ORLEANSVILLE se trouve, en outre, près du seul débouché qui mette en relation la plaine du CHELIFF avec la côte septentrionale de l'ALGERIE.

En effet, la vallée de l'Oued OUARAN conduit, par un col peu élevé, de la ''montagne du plâtre'' dans la vallée de l'Oued ALLAL (ALLALA ?) et, par suite à TENES. A droite de cette voie naturelle sont les montagnes inaccessibles BENI - MENASSER (?), à gauche celles, non moins praticables, du DAHRA.

Le Maréchal, comprenant la nécessité d'avoir un centre d'opération pour les colonnes qu'il faudrait lancer sans cesse dans des pays aussi difficiles, chercha un lieu qui satisfit pleinement ses vues ; il le trouva là où l'avaient déjà trouvé les généraux romains qu'un but pareil au nôtre forçait à étudier avec soin la topographie de la contrée.
Tout d'abord simple poste stratégique, ORLEANSVILLE servit dès lors avec le port de TENES pour son ravitaillement, de point d'appui à nos troupes qui, de là, rayonnaient à leur aise à travers les tribus indociles du DAHRA de l'OUARSENIS et des BENI - MENASSER.
Mais de plus hautes destinées l'attendaient et, à la reddition des armes par les vaincus, la paix fut solidement assise, son importance militaire et géographique lui valut de devenir une ville et plus tard de recevoir comme chef lieu d'arrondissement, le représentant de l'autorité suprême.
Le nom d'ORLEANSVILLE lui avait été donné, dès l'occupation, pour honorer la mémoire du Prince mort subitement à l'Armée dont il avait partagé les dangers.

En arrivant dans ces parages, ils durent décharger leurs tentes, leurs munitions de guerre et ''de bouche'' au milieu de broussailles, de lentisques et de jujubiers sauvages, nos soldats constatèrent un amas de ruines qui s'élevait à l'embouchure du TSIGHAOUT, à la place du marché arabe du Dimanche (Souk el Haad), des pans de murs en bon état et de nombreux débris architecturaux. Ils y relevèrent aussi un réservoir s'alimentant aux sources situées dans le lit du TSIGHAOUT (Lalla Aouda?) au moyen d'une canalisation en maçonnerie.

Questionnés sur la dénomination des lieux, les indigènes leur répondirent qu'ils campaient dans la ville aux statues (Bled El ASNAM) appellation tirée de la ressemblance existant de loin entre les pierres aux dimensions respectables qui émergeaient du sol et les statues grossières marquées du sceau de la décadence dont leurs pères avaient vraisemblablement gardé le souvenir.
Quelles étaient ces ruines ? Provenaient-elles d'une colonie, d'un municipe ou d'un vulgaire château fort, transformé plus tard en bourgade par l'établissement successif de ''mercatores'', de commerçants enrichis et de colons recrutés généralement dans le corps des légionnaires retirés du service.
Point d'inscription pour nous le dire : aussi fallut-il s'en rapporter à l'Itinéraire d'ANTONIN, seul texte qui, bien que souvent imparfait, put, en la circonstance, jeter quelque lumière sur ce coin encore obscur de l'histoire du passé.

Voici ce que dit cet ouvrage :
''De MANLIANA à TIGARA CASTRA XVI milles,
de TIGARA CASTRUM à OPPIDUM NOVUM II milles,
d'OPPIDUM NOVUM à TIGARA MUNICIPIUM XXXII milles,
de TIGARA MUNICIPIUM à CASTELLUM TINGITANUM XXII milles,''

donc à L (50) milles ou 17 lieues de MANLIANA on rencontrait TIGARA MUNICIPIUM et à XXII milles plus à l'Ouest, on continuait à descendre le cours du CHELIFF, CASTELLUM TINGITANUM. Et ce n'est pas tout, si nous réduisons ces XXII milles en lieues, soit 8 lieues pour les ajouter aux 17 qui séparent MANLIANA de TIGARA MUNICIPIUM, nous avons un total de 25 lieues pour le distance comprise entre MANLIANA et CASTELLUM TINGITANUM.

Or il y a précisément 25 lieues de MILIANA à ORLEANSVILLE.
Tous ces calculs relatés dans le travail de la Commission scientifique ont été confirmés par la découverte que nous avons faite de plusieurs ...(?) - aires d'après lesquels TIGARA MUNICIPIUM occupait l'emplacement même où notre administration fonda le village de WATTIGNIES, mais couvrait les deux rives du CHELIFF. Les XXII milles de l'Itinéraire, soit 32 km nous mènent exactement à ORLEANSVILLE.
D'ailleurs, dans les environs, aucune trace de ruines.
Il est dès lors certain quoi qu'en dise IBN HANCAL (qui place CASTELLUM TINGITANUM à 10 lieues à l'Ouest d'EL ASNAM, près du confluent de la MINA et du CHELIFF) et cet antiquaire trop aventureux dans ses propositions qui situe en EL ASNAM les ruines de l'antique SUFUSAR (?) parce qu'il aperçoit dans la liste des évêques un REPARATUS SUFUSAR ! . Il est dès lors certain qu'ORLEANSVILLE fut bâtie sur les décombres de CASTELLUM TINGITANUM.

Le géographe allemand MAMERT commet lui-même une erreur considérable quand il prétend qu'EL ASNAM était autrefois le municipe des THIGANDES (?), c'est à dire TIGARA MUNICIPIUM. Mais, à toutes ces inexactitudes de situation d'identification ou même d'appellation, s'en rajoute une plus extraordinaire encore : MM JUDAS et RIETSCHEL veulent baptiser ORLEANSVILLE du nom de SIGSA (ou SIGRA?). Une presse et des médailles en feraient foi, les médailles nous montreraient :
1 - deux figures placées à côté d'une estrade qui indiqueraient une ville située comme ORLEANSVILLE sur le bord du fleuve, les pieds baignés par les eaux.

2 - un cippe isolé donnant l'explication de la légende CIPPUS ... (?) ARANI TSISGAS ou CISGAS ou ''CIP YARANI TSISGA'' le nom de la ville eut tiré son origine de la présence d'un cippe consacré à URANUS. Le nom de TSISGA eut été le nom primitif, nom phénicien et CIPPUS le traduction. SISGA aurait été dévastée en 254, peu de temps après que VALERIEN eût été fait prisonnier dans la guerre contre SAPOR par conséquent, au commencement de 261, une inscription militerait enfin en faveur de la théorie soutenue et apporterait ce fait précis sur la date de la destruction de la ville. Nous accordons volontiers, d'une part, que le culte d'OURANOS ait été pratiqué dabs cette région. En effet, selon DICDORE DE SICILE, les habitants de l'ATLAS regardaient OURANOS comme le premier roi,, lis lui rendaient un culte divin, le croyant d'une essence plus qu'humaine. On pourrait sans doute y retrouver l'étymologie des vocables indigènes : OUARAN, O.I OUARAN, OUARSENIS. Nous ne contestons pas non plus qu'il y ait eu de fréquentes incursions à l'avènement de VALERIEN, en 253, que ces incursions aient eu leur contrecoup en MAURETANIE plus éloignée de l'oeil du Maître et moins surveillée que la NUMIDIE, cela est encore fort probable. Mais faut-il pousser plus loin ces concessions . Nous le ferions volontiers, malheureusement les légendes lapidaires et monétaires précitées sont apocryphes ou singulièrement altérées. Au temps d'HADRIEN, on ne frappait plus de médailles coloniales en AFRIQUE depuis plus d'un siècle et, pour ce qui est de l'inscription, souvenons-nous de l'histoire de ce naturaliste crédule qui achetait aux compagnies de zéphirs des animaux inédits : des rats dans le nez desquels les malins troupiers avaient greffé la queue empruntée à d'autres individus de l'espèce .us (?) : cela se nommait des rats à trompe. Cette industrie avait conquis trop de célébrité pour durer longtemps. Il est à craindre que les zéphirs se soient rejetés, plus tard, sur la numismatique et l'épigramme. Mentionnons enfin comme un argument en faveur de notre authentification, la lecture que nous avons donnée de notre ouvrage : ''Un coin de la MAURETANIE Césaréenne'' de l'inscription enchâssée aujourd'hui dans une des plies terminées du pont de l'OUED FODDA.

CASTELLUM TINGITANUM eut une existence très tourmentée. Placée au coeur d'un peuple dont l'insoumission, l'irascibilité et la haine de ce qui n'était pas lui-même se révélèrent encore de nos jours, il en fut plusieurs fois la victime sans compter qu'il eut à souffrir, à l'instar de toutes les autres agglomérations de l'AFRIQUE, de l'invasion des BARBARES. Une première preuve de ses malheurs ressort de l'absence totale de fortifications dans les derniers vestiges car, ne l'oublions pas, TINGITANUM ne fut au début qu'un ''château'', le poste le plus avancé des colonies d'OPPIDUM NOVUM et de CARTENAE (TENES). Le Dr PONTIER (?) n'est donc pas tout à fait dans le vrai en écrivant que CASTELLUM TINGITANUM ''était entièrement ouvert''. Dans la suite, nous n'en doutons pas mais pas dès le principe : nous avons publié, par ailleurs, pour l'Ecole des Hautes Etudes, avec carte à l'appui, le relevé de tous les fortins de cette région qui, pour correspondre entre eux, devaient nécessairement passer par celui de TINGITANUM. Une autre preuve de ses malheurs résulte de la présence au moment de la conquête notamment et même longtemps après, de couches charbonneuses très caractérisée en différents points, à moins de 1,50 m de profondeur et de l'examen superficiel du terrain recouvert sur un vaste espace de pierres de taille et de cendres. Or il dut se passer ceci : la destruction du fort consommée, la calme se rétablit, la population revient là, plus compacte, il y eut toujours des temps d'accalmie, suivis de nouveaux orages, jusqu'au jour de la pacification complète. Bravant l'ennemi, une ville surgit de ces encore fraîches, et comme enveloppée de cette atmosphère si paisible que l'idée de reconstruction du CASTELLUM avait été abandonnée, elle laissa libre jeu à son activité.

Mais voilà qu'un incendie éclate avec une fureur et une spontanéité telle qu'on ne peut le dompter. La cité entière est dévorée. Un four à briques a sa cuisson interrompue et nous ne tairons pas ce détail que dans les fondations de l'hôpital, on mit la main sur un plat en terre garni d'une sorte de haricots et posé sur du charbon. N'est-ce pas là un indice de la violence des flammes et de la vivacité avec laquelle elles se répandirent, marchant, courant, n'épargnant rien, englobant dans leur terrible fournaise depuis l'édifice le mieux composé, précieux témoin d'un art encore pur jusqu'à la plus humble et la plus chétive habitation. Désormais tout genre de vie a disparu de ces lieux et il faudra le génie colonisateur d'un soldat dont la devise ''Ense et aratro'' est sue de tous, aussi bien que sa connaissance approfondie du pays et des moeurs qui y régnaient pour rendre à TINGITANUM dans la petite ville actuelle sa prospérité et sa splendeur d'autrefois. Le Dr PONTIER semble attribuer aux Vandales (122) les derniers désastres de TINGITANUM après lesquels aucune population ne s'y serait établie d'une manière permanente. Mais quarante ans s'étaient écoulés depuis qu'un traité avec BONIFACE (435) avait proclamé la souveraineté du roi GENSERIC, des colonnes d'HERCULE à HIPPONE lorsque l'évêque REPARATUS fuit inhumé dans sa basilique (475) C'est cette basilique - qu'on nous permette une légère digression - que Mgr LEYNAUD, archevêque d'Alger projeta de reconstruire et aurait désiré inaugurer, une fois reconstruite à l'occasion des fêtes du centenaire. Le corps du dernier prélat de TINGITANUM qui repose actuellement à Alger aurait été ramené solennellement dans la nouvelle église : nous disons intentionnellement ''le corps du dernier prélat'' il y a de très grandes chances en effet, pour que, par suite de la surexcitation générale et du mouvement insurrectionnel qui sévissait alors partout en MAURETANIE, REPARATUS n'ait pas eu de successeur.
La ruine finale de CASTELLUM TINGITANUM n'est donc pas l'oeuvre des Vandales : elle fut, croyons-nous, consommée au cours des soulèvements qui se produisirent sous les règnes de GUNTHAMUND et de TRASIMUND : toutes les inscriptions trouvées sont antérieures à cette époque (474-475)
Peut-être TINGITANUM put-il encore applaudir à la défaite de GELIMIR ? Nous en serions surpris.

Edmond REISSER





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